Inutile de m’attarder sur les péripéties scabreuses d’un homme devenu symbole de la générosité française pendant plusieurs décennies, tant celles-ci ont scandalisé à peu près tout le monde en France et ailleurs. Karine, avec toute sa sensibilité et sa justesse de plume, vous en raconte une page dont la noirceur provoque l’émotion et les crampes d’estomac. Bref…
Ma réflexion marketing sur ce dramatique échec de marque, est qu’au-delà d’un changement inévitable, souhaité et périlleux, une marque ne meurt pas nécessairement avec sa faillite sociale. Pendant des années, des décennies à venir, en dira encore que cet Abbé Pierre aurait mieux fait de rester de marbre, au lieu de fourrer ses mains là où il ne fallait pas. Divinité déchue ! L’homme était-il tellement puissant que personne n’osait le dénoncer ? La marque tellement haut sommet de sa gloire qu’aucune descente aux enfers ne pouvait s’envisager ?
Et après ? Et maintenant ?
Après un désastre d’une telle ampleur, comment pourrions-nous faire confiance à une association caritative issue de ce gigantesque théâtre de perversité et de désillusion ? Une marque de défiance est née. Une marque de supercherie collective est dans notre mémoire. Lorsque nous adulons une marque, jusqu’à croire qu’elle est guide de nos valeurs sociales, la chute est fracassante. Et cela vaut sans aucun doute pour toutes les marques. Plus nous les aimons, plus la déception est cruelle et inacceptable à la fois.

Non Karine, je ne crois pas que l’on puisse aimer à nouveau une marque qui nous a trompé de la sorte. L’abbé est impardonnable. Son institution l’est également. Celles et ceux qui se sont tus ont méprisé la vie, la joie, le bonheur, l’intégrité de toutes les victimes de Pierre. Nous le savons. Trop tard.
Pour autant, la Fondation va poursuivre sa route et continuer d’œuvrer pour aider les plus démunis. Avec moins de moyens, naturellement, et sans doute aussi moins de bénévoles. C’est dommage. Mais inéluctable. Dans la vie des marques commerciales, nous sommes parfois plus indulgents. Nous sommes prêts à pardonner des erreurs, parce que ce sont les nôtres aussi. Lorsque nous choisissons une marque de yaourt ou de chaussures, nous croyons à certaines valeurs de marque et nous sommes conscients du caractère émotionnel de nos décisions. Alors y renoncer, c’est avouer que nous nous sommes égarés, que nous avons cédé au pouvoir du marketing qui raconte les histoires que nous avons envie d’entendre. C’est à la fois plus facile d’être séduit par une marque et plus difficile d’avouer notre naïveté de client en recherche de repères fiables. Il y a pourtant des marques qui ont tué et que les gens achètent encore…
Notre mémoire affective est fluctuante. Disons que notre éthique n’est pas à ce point précise, et que nous dépassons parfois du trait délimitant la frontière entre l’acceptable et l’intolérable… Alors, avec le temps, nous oublions un peu trop vite nos erreurs et celles des autres.
N’est-ce pas aussi le sens de notre morale chrétienne ? Et pas seulement d’ailleurs, si l’on en croit les citations reprises de divers personnalités et de différentes obédiences…
Mais le pardon est essentiel pour les humains. Il ne l’est pas pour les marques. Les marques se doivent d’être aussi scrupuleusement parfaites qu’elles le prétendent. Personne n’a obligé l’abbé à se muer en marque. Il n’aurait jamais dû l’accepter… Faiblesse humaine ?…
Lorsque nous définissons une marque par une mission et des valeurs fortes, nous prenons un engagement solennel devant l’ensemble des clients et des collaborateurs de l’entreprise. Définir une marque est un art fort, puissant et donc dangereux. Le moindre écart, et tout est perdu.
Le paradis attendra.
PS : je me doute que tu n’as pas forcément vu le film d’Ernst Lubitsch… pourtant…

