J’aime bien tes mots Delphine, et je l’ai déjà dit ici. Chaque année c’est un bonheur de lire et d’apprendre ce qui ce cache derrière les mots de l’année. Pas forcément les miens ni les tiens, peut-être, mais ceux que tu as retenus et choisis pour nous. Alors, loin de moi l’idée de nier que la violence de 2023 ne s’est pas traduite par les mots. Certes, nous terminons cette période avec des images de meurtres, de génocides, de massacres et de catastrophes en tout genre, mais tout de même…
J’aurai préféré que l’on s’étende un peu sur la foule sentimentale. La foule, cet autre que nous sommes tous malgré nous. Moi qui suis sentimental, je n’aime pas trop la foule. Curieux non ? Je ne m’y sens pas à ma place, je ne participe généralement pas à des manifestations, ni à des rassemblements, de peur de me perdre dans l’océan d’autrui. Je milite pour la personnalité, la singularité, la différence et le respect de chaque être humain, et cette vision de la micro audience est aussi celle que je défends pour un marketing inspiré, plus proche de l’art que de la production industrielle. Alors loin de la foule, nous pourrions pourtant vivre heureux.
Et puis dès février, parce que si tu ne le sais pas encore, à chaque mois son mot, et à chaque mot son émoi, on parlait de bordélisation. J’adore ! Merci Delphine. Apprendre que borde est une planche, que les maisons se sont fermées dans diverses cultures, accueillant des hommes qui foutaient le bordel en mettant des femmes sur la planche… non je crois que j’ai un peu mélangé les concepts. Mais c’est incroyable de ne pas savoir tout cela. D’être ignare au point d’associer le bordel à un monde interdit et dégradant pour les femmes, au lieu d’un simple tintamarre, d’une cacophonie tellement plus appropriée à l’expression de notre démocratie représentative. Le peuple parle au travers d’une grouillante assemblée qui a installé un joyeux bordel dans son hémicycle préféré. Qui est à droite, qui est à gauche, qui défend nos intérêts plutôt que les siens ? Allons-nous retrouver quelque part dans cet en même temps ?
Là où je te rejoins Delphine, c’est dans le constat que les mots sont dits plus hauts et plus forts qu’avant. On nous crie un peu trop dans les oreilles. Ca hurle, ça vocifère, ça parle trop et trop souvent.
Et si je ne parlerai pas ici de féminicide, d’euthanasie, de radicalité ou d’antisémitisme, c’est par respect de l’opinion de mes lecteurs. La mienne n’a pas d’importance et le lieu ne se prête pas à ces débats.

En revanche, je retiens un troisième mot qui pique mon coeur : la shrinkflation. Un mot moche à souhait. Bravo ! Des produits plus petits et plus chers ! Le génie créatif des industriels en démonstration. Prendre les clients pour des idiots, est toujours dans l’esprit de certains marketers. Je n’en reviens pas, comme dirait Anne. Le consommateurs se fait avoir, crois-tu qu’il aime ça ?
Et lorsque Carrefour décide de sortir Pepsico de ses rayons, le message est clair : il ne faut pas jouer avec l’inflation et la tordre dans tous les sens. Il ne faut pas jouer avec les quantités ou les tailles de nos produits préférés même si c’est pour les rendre plus accessibles en prix. Les mots ont une importance énorme dans notre société. Brandir l’inflation comme une nouvelle épidémie mortelle pour les petits revenus, c’est aussi nauséabond que des tickets de rationnement. Il y a dans notre pays des gens qui souffrent et ne mangent pas à leur faim, faut-il leur parler dans un franglais incompréhensible pour autant ?
Tu noteras que la plupart des mots prononcés en 2023 sont anxiogènes. Encore. Un peu comme si notre vocabulaire devenait commun lorsqu’il s’agit d’exprimer nos peurs. J’ai tout de même l’impression que l’on devrait commencer l’année avec des mots plus doux. Ce n’est pas un voeu. Ni une bonne résolution de plus à inscrire sur la liste de celles que je ne tiens pas. Pourquoi les mots éducation, séduction, sérendipité, ou simplement la beauté, la sublimation du réel ne sont-ils pas plus souvent dits ou écrits ? Pourquoi associe-t-on toujours la découverte, l’innovation avec la destruction, le risque mortel d’une perte de contrôle ? L’Homme est-il capable de choisir autre chose que la peur ?
S’il rejoint la foule, c’est bien pour échapper à la mort, qui frappe le solitaire. Or la foule n’engendre pas la beauté. L’artiste meurt et les médias en parle. La foule ne meurt pas, elle s’anime, se met en mouvement, se disperse. Elle est un mouvement, une dynamique qui peut d’ailleurs s’emballer.
En parcourant cette édition d’un bien grand mot, je ressens ce langage négatif autour de la violence de nos sociétés, comme un déchainement de l’opinion. Au sens premier. Une opinion libérée de toute morale, criant son refus de vivre dans le calme, sa haine du contraire, sa peur de ne pas être entendue, son désir d’exploser à la face de chacun, que nous ne savons plus contenir dans des limites raisonnables.
Je crois, Delphine, que nous avons besoin de beauté. D’élégance aussi. De choisir des mots qui nous font du bien à dire comme à entendre.
Où sont-ils ? Perdus par la foule ?…
Parce que tu le sais, le beau est singulier et donc peu commun. Le beau devrait être votre raison d’être.

