Nous étions assis autour d’une table, bien au frais, à l’intérieur, en toute quiétude. L’idée de cette réunion informelle était de parler de tout ce qui nous réunit autour de la responsabilité et de la relation client. Sans ordre du jour, sans structure aucune, sans parti pris, bref comme si nous débutions de zéro.
L’endroit est calme et même agréable, la cuisine aussi. Tu prendras des coquillettes au jambon truffé et champignons si cela te tente. Ou un bobun ? Et puis Olivier prendra un dessert et moi aussi. Pourtant, lorsque les assiettes arrivent, je me dis que son choix est nettement plus gourmand que ma pauvre glace aux fruits rouges. Je demande alors qu’on puisse me changer le dessert, car finalement j’ai envie d’autre chose et surtout de ce sablé aux fraises.
Affolement de serveuse qui répond, je vais voir ce que je peux faire. Un demi étage plus bas, elle en informe le chef de salle, qui fait une tête souffrante en pensant au casse-pied qui vient encore de ruiner le service (et la marge du dessert). Une minute et demie plus tard, le voilà qui reprend mon dessert avant de revenir avec le même qu’Olivier a déjà largement entamé. Sourire d’enfant et remerciement, ne font que peu d’effet sur le serviteur respectueux du client. Il a bien fait d’accéder à mon caprice, évitant au passage que je trouve l’expérience peu sympathique.
On en est là ! C’est ça l’expérience client. On en vient vite à franchir les échelons de l’escalade hiérarchique, jusqu’à trouver celui ou celle qui a le pouvoir de dire oui (tu te souviens ?). Pourquoi ?

Qui a le pouvoir ? Philippe cite de mémoire vive : c’est le client !
J’apporte un bémol au concert d’approbations pour ce paradigme bienheureux qui convertit jour après jour, les apôtres de la responsabilité. Etre responsable, c’est d’abord s’occuper correctement du client. Action !
Ma vision de l’entreprise évolue avec les lectures. Aujourd’hui, les entreprises ont un pouvoir certain : celui de la connaissance. Connaissance client, d’une part, et j’y reviens, mais connaissance technique d’autre part, et là aussi, il y a beaucoup à dire. Quelle connaissance est-elle primordiale ? Laquelle fait l’objet de toutes les tensions actuelles dans notre monde ?
J’ose te dire que c’est la connaissance client, aka la Data. C’est ce qui fonde les empires des GAFAM et des géants chinois qui sont en passe de l’emporter. C’est aussi ce qui incite l’Europe à s’activer pour se défendre, pour se munir de barrières, d’outils ou de la formidable souveraineté (cf Thierry Breton commissaire européen). Oui, soit on détient cette information, soit on en est tributaire : voudrais-tu payer pour faire de la publicité sur Amazon ou sur Google ou sur TikTok ?
Et c’est tout !
Histoire de notre civilisation : cela qui détient la connaissance, détient le pouvoir. Mieux. Celui là fait tout ce qu’il peut pour conserver son trésor hors de portée des gueux (nous). Ce fut le principe du refus par l’église catholique (mais pas que) de l’accès à l’éducation jusqu’au 19ème siècle, c’est aujourd’hui le même principe appliqué au business. Alors Olivier nous dit, oui mais comment est-il possible que la Gendarmerie Nationale ait choisi Salesforce au lieu de Easiware, ce bon français ?
Pouvoir !…
Le géant américain leader du CRM a une force de frappe bien supérieure. Dans l’expérience client, ce n’est pas seulement l’expérience qui se grave dans la mémoire du client qu’il faut prendre en compte, c’est sa restitution. Ce qu’il en dit, ce qu’il en reste et surtout ce que l’on a capté et enregistré comme connaissance dans notre base. Faute de quoi, l’instant aura disparu pour laisser la place dans un cerveau agité, à une autre expérience tout aussi intéressante.

Alors je me dis que ce déjeuner a été utile en même temps qu’agréable. Les entreprises ne doivent pas seulement être responsables. Elles doivent améliorer la vie des clients (y compris en leur expliquant comment l’être) en étudiant finement les expériences qui recèlent une connaissance bien plus déterminante que le jour de l’achat et les références produits. La connaissance de l’humain. De ses caprices comme d’autres habitudes ou passions éphémères, il lui faut extraire la capacité à le connaître vraiment.
Parce que la prochaine fois, tu pourrais proposer quelque chose de fort et de responsable. Ah ? Oui, la responsabilité est aussi dans l’économie d’efforts à faire pour satisfaire les envies et besoins du client. Sobriété ! Notre cerveau est construit sur cette base là. Il stocke des informations, il les retrouve au bon moment, pour nous les renvoyer en conscience, sans même avoir besoin d’y réfléchir. Réfléchir coûte trop cher en énergie. C’est comme l’escalade dans la relation client. C’est trop d’énergie. Dis oui tout de suite et tout ira bien. Ah… mais le chef de salle aura perdu ce pouvoir là, et que lui restera-t-il ?… Si l’intelligence artificielle doit améliorer l’expérience client, et donc la relation, c’est certainement en s’inspirant de l’humain. 10%, comme dirait Intermarché, qui suffisent à faire beaucoup de choses. Si les entreprises utilisaient correctement 10% de la connaissance client qu’elles détiennent, elles deviendraient nettement plus responsables.
Tu ne crois pas, Anne ?…
#onenparle


Merci pour ce partage Patrice et la restitution de ce déjeuner que décidément je ne regrette pas d’avoir initié. Je te rejoins complètement sur la nécessité pour les entreprises d’être « responsables », tu connais mes terrains de jeux favoris. Et si cette responsabilité se traduit prioritairement par le fait de s’occuper de son client alors les entreprises ont aussi le devoir d’encourager ce client à devenir lui-même responsable.
L’anecdote du dessert est amusante. On peut y voir l’escalade hiérarchique et l’expérience peu sympathique. On peut aussi observer une serveuse surprise et désœuvrée en comprenant que ce dessert allait finir à la poubelle alors qu’autour de la table, les conversations étaient concentrées sur la responsabilité précisément, la RSE et autre sujets de sobriété.
Je crois fondamentalement à la notion de collectif et au fait qu’il ne peut pas y avoir quelques acteurs d’un côté (et de plus en plus heureusement) qui porteraient la responsabilité au nom de tous les autres. Et vigilance, cela ne veut pas dire juger, condamner ou encore culpabiliser. Vive le plaisir… et la gourmandise !
je suis en effet peu responsable en changeant de dessert… comment le devenir en restant gourmand ?…
merci Anne pour ce commentaire instructif !