Souvent nous faisons référence à Aristote pour redonner sa dimension sociale à l’être humain que nous sommes tous et pour y trouver une forme de supériorité légitime face au monde animal. Notre volonté de rencontrer puis de partager ce que nous aimons avec ceux qui nous entourent, notre tribu ou notre famille, semble émerger du chaos comme un chemin vers l’intelligence collective. Et pourtant, la question mérite parfois d’être posée : sommes-nous vraiment aussi sociaux que nous l’affirmons ?
L’émergence du Social Selling, la communication croissante autour de la nécessité de remettre l’humain au coeur de l’expérience de marque, la place de l’humain (encore) dans la digitalisation du business, sont autant de signaux devenus forts. Mais allons-nous vivre une nouvelle ère de « social bullshit » ? Les « cadors » du marketing vont-ils s’emparer du mot clé « émotion » pour justifier leur habituel carnage dans la chasse aux clients ?
L’humilité indispensable à chacun, devrait les freiner (si toutefois le mot ne leur est pas inconnu). L’homme en tant qu’espèce, est-il vraiment supérieur aux autres animaux peuplant la terre (où plus exactement les quelques réserves qui restent pour assurer leur survie) ? Mon expérience récente au Botswana m’ayant rappelé que je n’étais pas si malin, ni si fort au milieu du bush, j’ai lu avec intérêt un article paru dans le Monde (daté 12 octobre) qui donne la parole à l’ethnologue Frans de Wall et qui nous remet à notre place.
Comme cette célèbre citation d’Einstein l’illustre, nous avons trop tendance à mesurer les performances des autres avec nos critères personnels. Or le talent des animaux, est bien souvent nettement supérieur au nôtre. Ainsi l’éléphant peut capter les signaux et les déplacements par ses pieds reliés au sol. Il est aussi capable d’organiser une cérémonie funéraire pour son groupe lors du décès d’un ses proches. « Un chimpanzé a une mémoire bien meilleure que la mienne. Ayumu, par exemple. Mes collègues japonais lui apprenaient une série de neuf chiffres dans un certain ordre. Ensuite on lui montrait ces numéros, répartis en différents points d’un écran, pendant 20 millisecondes, puis les numéros disparaissaient. Il était capable de reporter les différentes cases dans le bon ordre. Aucun humain n’y est jamais parvenu. Pas même le champion de Grande-Bretagne de mémoire ! »
Plus loin dans l’interview, Frans de Wall met un terme à cette obsession du « propre de l’homme » : « Il nous reste le développement du langage comme moyen de communication symbolique, quand même. Les autres (espèces) n’en sont pas dénués mais nous restons dans une catégorie à part. En dehors de ça, je ne vois pas. Nos capacités d’intelligence sont parfois plus développées. Mais c’est une différence de degré, pas de nature. Il est temps d’arrêter de courir après le « propre de l’homme ». Dans ma vie, j’ai dû voir 25 propositions sur le propre de l’homme. Toutes sont tombées. On perd notre temps. Mieux vaut comprendre les règles générales de la cognition et étudier les spécificités de chaque espèce. Pourquoi toujours chercher ce qui nous rend unique, nous ? »
Et à la question de savoir si justement ce n’est pas le « propre de l’homme », sa réponse est cinglante : « Son arrogance oui peut-être ! » L’avenir de la cognition est dans le perfectionnement des neurosciences. Nous allons encore beaucoup apprendre de notre cerveau mais aussi de ceux des autres espèces.
A chaque rencontre avec un autre être humain, se pose cette question de son intelligence versus la mienne. Est-ce utile ? Est-ce de lui que j’apprends ou est-ce à moi de lui démontrer à quel point je suis savant ?
Restez humble, c’est sans doute accepter que nos différences d’appréhension de la même réalité, nous permettraient de progresser ensemble, si toutefois nous étions prêts à les partager. Faire du business ensemble, c’est avoir envie d’apprendre l’un de l’autre. L’émergence du collaboratif montre que ce ressort social est bien présent dans nos relations humaines : mettre en commun ou partager la connaissance, serait-il l’avenir de l’homme ?
Frans de Wall est aussi l’auteur de « The age of empathy » (nature’s lessons for a kinder society) – pour en savoir plus, lire l’article du Monde –