Il n’est pas 20h mais j’ai déjà hâte de sortir sur mon balcon et d’applaudir dans le noir, pour célébrer le courage, l’abnégation et le dévouement de ces personnes admirables que l’on dénomme par les personnels soignants. Comme tout le monde, j’en connais certains, y compris dans ma famille et mes amis. Aussi, à l’invitation d’autres, je médite sur cette volonté inédite de participer à un effort collectif sans autre intérêt que d’envoyer des vagues émotionnelles positives dans un air chargé, en direction de tous ceux qui souffrent pour préserver nos vies.
Je n’y ai aucun intérêt. Je ne le raconte pas ici pour vous tirer une larme, ni pour inciter à en faire de même. Ceci n’est pas une opération marketing !
Je le fais pour elles et eux. C’est tout !? je le fais par altruisme.
Vivre c’est être utile aux autres. Sénèque. Cette citation est la première reprise par Matthieu Ricard dans son livre « Plaidoyer pour l’altruisme », paru en 2013. Alors tant qu’à vous raconter des histoires, je m’efforce de les rendre utiles, si possible. L’altruisme n’est pas l’empathie. Si nous sortions sur nos balcons portés par l’empathie, nous serions alors dans la souffrance, exactement comme les infirmiers.ères, les médecins, les urgentistes, les pompiers, etc… tous ceux qui souffrent physiquement et moralement de la situation d’urgence sanitaire. C’est d’ailleurs là un risque mais aussi un enseignement qu’ils connaissent bien. Etre dans l’empathie les plongerait dans la douleur, la souffrance, et les conduirait au bout du compte au burnout, à cet état d’épuisement émotionnel que nous redoutons tous.
Etre altruiste, au contraire, c’est ressentir de la joie, des émotions positives, par l’amour et la compassion. Pour devenir altruiste, il faut sans doute passer par l’empathie. C’est en tout cas ce chemin méditatif qu’emprunte le bouddhiste Matthieu Ricard et qu’il décrit dans son livre. Car ressentir ce qu’éprouve l’autre, c’est finalement générer une envie irrépressible de lui venir en aide, d’agir pour son bien. On envisage alors mieux ce que signifie la notion de dépassement du soi. Faire pour l’autre et seulement pour l’autre.
Comme toi, cher.e lectrice.teur, je parcours dans le stress ambiant de nombreux articles, de nombreux mails, évoquant la crise et proposant des solutions : « notre équipe est là pour vous, en télétravail… dans ce moment difficile, nous ne vous oublions pas… nous avons des solutions innovantes à vous proposer… cliquez là et rejoignez notre communauté… » Pourquoi pas !
Mais l’altruisme c’est autre chose. Si comme Matthieu vous étiez passé dans un laboratoire de neurosciences, vous auriez découvert que notre cerveau active des régions liées à des émotions positives lorsque nous nous concentrons, en méditant #oupas, sur le bonheur, les actions positives et les qualités des autres. Aucune espèce d’émotion négative, telle que la jalousie, le dégout, la peur ou le rejet, ne surgit dans ce cas. Nous sommes entièrement tournés vers ce qui peut faire le bien d’autrui. C’est, je le crois, le sens du partage pur. Ne t’étonnes pas cher.e lectrice.teur, si tu croises encore trop de likes ou de smileys insignifiants. Le besoin d’exister, d’être visible et démontrer un tant soit peu d’empathie, va atteindre un pic inégalé dans cette crise. C’est une réaction humaine, après tout.
La sagesse voudrait que nous nous réfugions dans l’altruisme. Ne plus penser à sauver notre peau (notre instinct de survie va s’en charger – cerveau le plus ancien et le moins contrôlable), mais nous concentrer sur ce qui peut sauver l’autre. J’aimerais lire davantage de commentaires déclarant, affirmant, réaffirmant à quel point nous nous aimons. J’aimerais lire davantage d’articles célébrant les actions remarquables, les talents incroyables, les joies et les moments de bonheur, de nos clients, de nos collaborateurs, de nos amis aussi. Au lieu de raconter notre vie, pourrions-nous mettre en avant, en lumière celle des autres ?
Lorsque tu sortiras ce soir sur ton balcon, à ta fenêtre, cher.e lectrice,teur, ne pense pas à toi. Pense à elles.eux. Et puis regarde autour de toi, cherche dans le soir, un écho à ton clap clap généreux, et réjouis-toi d’entendre résonner les applaudissements autour de toi. Nous avons tous de la valeur. Nous avons tous des valeurs. Aimons les !
Et puis, en évoquant le balcon, souviens-toi de Cyrano ! Quel plus beau héros du romantisme et de l’altruisme que celui-ci !
« La compassion est la forme que prend l’amour altruiste lorsqu’il est confronté à la souffrance de l’autre. » Matthieu Ricard (p294)
PS : Si tu cherches comment exprimer cet amour des autres, autrement qu’en sortant à 20h sur ton balcon, je te livre ma version : chaque jour, je publierai un tweet célébrant une personne qui m’est chère. Simplement, humblement, par amour. Et toi ?