Un matin, tu regardes dans le miroir de ta salle de bain, et hop, il n’y a plus rien. Tu n’as pas réellement disparu mais tu comprends pourquoi tu n’éveilles plus grand chose dans le regard des autres. En fait, tu ne comprends pas, mais tu réussis à te convaincre que ce que tu vois, là, sans fard, est sans pouvoir de séduction. Aucun. C’est dur à admettre. Alors tu t’agites, tu cherches un moyen d’être plus élégant.e, plus sexy… hum… Faire plus court, souligner ce qui peut l’être, choisir tes mots pour dire plus fort ce que tu penses trop bas. Mettre de la couleur peut-être ? Ajouter des filtres ?
Comme tu n’as pas su prendre le look de l’influenceur, celui ou celle qui fait rêver les gosses en direct de Dubaï, comme on regardait passer les grosses bagnoles rouges en levant la tête du baby-foot du bistrot de la mairie, tu vas devenir invisible. Pas que tu ne mérites pas un peu d’attention. Non bien sûr. Mais simplement parce qu’à force de scroller, l’audience a touché le fond…
La chute est libre, en effet. C’est le choix de chacun que de perdre des heures à scroller, passant 10 secondes au plus par contenu parcouru. Et, tu l’as remarqué, cela va forcément en descendant. Un autre, puis un autre, puis plus tu continues et plus tu glisses vers l’abime de l’infiniment creux. Plouf ! Si tu avais sauté d’un avion, encore ? On comprendrait que tu sois ivre de cette vitesse de chute qui te dégonfle les joues. Mais là, c’est ton pouce, ta souris qui te font descendre. Une attirance pour le vide ou le réflexe inconscient de l’insatisfaction permanente. Plus rien ne te séduis plus de 10 secondes.
Tu m’étonnes que ton regard dans le miroir te files la migraine !

Attends, lorsque tu parles de ta marque, est-ce la même chose ?
Toi qui cherches depuis une décennie à étirer dans le temps une relation avec tes clients, comme tu espères voir s’agglutiner de nouveaux abonnés sur tes comptes sociaux. La largeur, l’épaisseur du trait, capte facilement l’oeil avide de résultats gras comme un cochon. Alors oui c’est valable pour toi aussi. Le désir est parti. Ta marque n’est pas plus désirable qu’une baleine échouée sur une plage bretonne. On aura beau te remettre à l’eau, te lifter le logo ou te définir une nouvelle mission, tu reviendras bientôt t’abandonner sur le sable humide et mou, à peine réchauffé par les rayons d’un soleil s’évadant vers l’horizon.
Mais quel est donc ce froid que l’on sent en toi ?
Plus tu descends et plus l’eau se refroidit. Alors, aujourd’hui, parce qu’être désirable est encore plus difficile qu’hier, tu te réfugies derrière les prouesses du digital. Là, où il te fallait des heures passées à piétiner dans les allées d’un salon, au bar d’un cocktail ou dans un centre commercial, pour espérer rencontrer une personne qui te remarquerait, désormais tu cliques et tu inondes le monde (au moins quelques centaines de gens errants en mal de scroll down) de tes messages inutiles. Aimez-moi ! Aimez-toi tout de suite, et ça peut vous rapporter ! Ah bon tu crois ?
Communiquer pour exister. S’abaisser chaque jour un peu plus à raconter sa vie pour la rendre faussement enviable. Les marques te font l’honneur d’une visite dans leur intimité. Viens donc voir comme elles sont belles ! Ce n’est pas la pomme empoisonnée de la sorcière qui va te plonger dans les limbes. C’est ton manque de personnalité. Ton manque de conviction. Tu t’es mis en tête de ressembler à tout ce qui brille. Mais plutôt que d’être brillant.e, tu es devenue luisant.e, dégoulinant.e de partout.
Rien chez toi ne crée plus le désir.
A force de contacter tout le monde, à force de ressembler à tout le monde, tu finiras bien par séduire quelqu’un. Si si, sois certain que tu y arriveras. Pour autant, tu auras déçu tant de personnes, qui te renverront une image à peine dégoutée de toi-même, qu’à la fin ta disparition ne les affectera nullement.
Lorsque dans un texte précédent, j’évoquais le manque de respect des marques pour leurs publics, je ne t’avais pas prévenu que c’est sans doute la conséquence de cette perte de désir. Moins tu crées ce désir et plus tu dois employer des moyens peu respectueux pour convaincre. Lorsque la FNAC se sent obligée de t’offrir un black friday qui dure des semaines, c’est parce que le désir n’est plus là.
Ce soir, tu regarderas dans le miroir. Il n’y aura pas magie. Tu enlèveras cette couche cosmétique qui te rassure dès que tu sors de chez toi. Il ne restera que toi.
Le désir sera loin.