Tu risques d’être déçu si tu cherches ici à poursuivre le débat qui agite notre pays fâché contre son président pourtant récemment élu. Le propos n’est pas politique. Agiter bruyamment des casseroles en guise de manifestation de son désaccord est une nouvelle tendance sociale qui interpelle. Pourquoi tant de bruit et pourquoi cet instrument peu mélodieux ?
Si tu les as sous tes fenêtres, tu seras bientôt d’accord pour dire qu’ils nous bassinent ! Et justement, c’est là l’origine de ce concert populaire improvisé et sans partition, puisqu’il faut se souvenir qu’au moyen-âge, déjà, on tapait sur des casseroles (instrument séculaire de notre passion pour la cuisine). Mais il y a une différence majeure qui ne t’aura pas échappé : lorsque le roi Charles VI entre dans Paris en 1409 et que les casseroles couvrent les cris de la foule, c’est pour manifester leur joie que les citoyens agités tapent si fort. Faire du bruit comme diraient tous les rappeurs de France et de Navarre, c’est acclamer, encourager, montrer sa passion, positivement.
Un peu comme si tu utilisais les réseaux sociaux pour dire, pour partager avec les autres ce que tu aimes, ceux que tu soutiens, celles que tu encourages. Un truc de dingue non ?
Aujourd’hui, s’exprimer avec des mots est-il devenu ridicule ?
Faut-il au contraire, manifester vocalement ses aigreurs, dénoncer, divulguer des messages haineux, reproduire des comportements agressifs ou même totalement ré écrits sans aucun respect pour une quelconque vérité ? Si nous utilisons les espaces de communication, les moyens de conversation avec autrui pour y déverser nos ressentiments, que restera-t-il aux humains pour partager de l’amour ?
Dans mes casseroles, j’imagine cuisiner. Cuisiner pour les autres. Faire de mon mieux pour les surprendre, ravir leurs papilles et remplir leur estomac. Mes casseroles ne sonnent que lorsqu’elles sont emplies par des mets et des saveurs qui attisent la gourmandise. Ce sont des objets précieux. Je voudrais les employer pour le bien et pour le bon. Certes elles font partie de ma batterie de cuisine, certes elles sont parfois en cuivre mais est-ce une raison pour leur taper dessus ou pour souffler dedans ?

Lorsque j’ai des mots à vous dire, lorsque je suis fâché par une marque ou une campagne marketing, je préfère les écrire dans des phrases. L’enjeu est faible, je le reconnais. Mais je reste convaincu que notre capacité à exprimer par l’écrit nos sentiments, nos émotions est un savoir-faire irremplaçable. Oui nous avons cédé à l’invasion de l’image, de ces photos toujours plus belles et retouchées. Oui nous avons découvert que déverser sa bile, ses échecs, nos regrets, est infiniment plus « touchant » et stimulant pour les cerveaux surchargés des internautes en perdition que de féliciter quelqu’un pour ce u’il accompli. Oui nous sommes devenus fiers de tout et de n’importe quoi (personnellement je ne suis fier de rien ni de personne – les résultats des autres ne sont et ne seront jamais les miens). Ah le top chef, oh la belle mariée, ou la superbe voix ! Mais exprimer ce que l’on pense, exige un peu plus de courage et de précision que d’envoyer des likes à tour de scroll down.
Finalement, plutôt que d’être compris, nous en sommes arrivés à tout faire pour être vus. Tout est là. L’influence est ce bruit qui nous assomme dans l’indifférence de nos singularités. Tout est écrasant.
Car oui encore, nous ne savons plus nous faire entendre, faire respecter notre parole, ni bien sûr, dire nos joies.

Alors, il nous reste à taper sur tout ce qui fait du bruit. La casserole a une queue, comme le maillet a un manche. Qui prétend que cela suffit à en tirer de la musique ?
La casserolade n’est pas une recette miracle. Le bruit assourdissant n’a jamais produit d’harmonie, ni de mélodie dont on pourrait se souvenir. Lorsque tu parcours les réseaux sociaux, tu peux le constater. Les casseroles prennent cher ! Il y a peu, nous applaudissions au balcon. Désormais il faut crier pour exister… Demain nous n’aurons plus de voix. Demain les casseroles retourneront à la cuisine.
Et tu n’as qu’une hâte, que finisse la nuit…
Si tu veux en savoir plus sur les casserolades, je t’invite à lire ce qu’en pense Karine et aussi cet article et podcast de Radio France (qui date de 2020) :
Merci à Tefal, Couzon, Beka et Cuisinox d’avoir sponsorisé cet article ! (non je plaisante…)