J’ai lu aujourd’hui une tribune sur l’indécence émotionnelle ! Wahou quel concept ! Aussi je tiens à commencer en citant le célèbre ‘procureur de la république’ et humoriste Pierre Desproges : « c’est un homme brisé par l’émotion qui s’adresse à vous aujourd’hui… mais pourquoi ma confusion est-elle si grande, chers amis ? »…
Est-ce du domaine du délire lorsque près de 60% des français sont choqués par les campagnes publicitaires de certaines marques pendant cette crise du covid-19, au prétexte qu’elles emploieraient maladroitement des messages de soutien aux personnels soignants (par exemple). Jugées opportunistes, elles seraient décriées par les jeunes générations. Plus largement c’est l’utilisation de causes sociétales qui semblent poser un problème de conscience et de confiance dans les marques. Or, une enquête Kantar de 2019, indiquait que la perte de confiance dans une marque se produisait pour 23% des consommateurs lorsque « celle-ci ne prend pas en compte les enjeux de santé ou d’environnement ou encore pour 22% si la marque a un impact négatif sur la vie des gens ». Alors paradoxe ou changement de référentiel suite au débordement émotionnel consécutif d’une crise inédite par son ampleur et sa cruauté ?
Le concept présenté par Michael Boumendil est celui de l’émotion décente. Je n’en reviens pas ! J’adore les concepts et je respecte infiniment le travail d’agences spécialisées sur le son, et l’identité sonore des marques, un sujet naturellement émotionnel. Mais quelle idée !? Faudra-t-il une formation spécifique pour devenir juge de la décence émotionnelle ? A quel moment une émotion exprimée, quel que soit le contexte, est-elle, sera-t-elle jugée indécente ? et par qui ?
Si je suis le raisonnement de Michael, ce jugement est porté par les consommateurs, en réaction aux campagnes publicitaires ou marketing que certaines marques considèrent opportunes pour apporter leur soutien à telle ou telle cause. Nous sommes alors d’accord sur un point : les clients souhaitent d’abord des actes, des actions que l’on pourra communiquer ou non. Quand LVMH annonce lancer la fabrication de masques ou de gel hydroalcoolique, faut-il y voir de la récupération ? Faut-il en faire une campagne ? Je laisse les moralisateurs de tout poil en discuter. Je t’enjoins cher.e lectrice.teur, à considérer que l’entreprise peut choisir sa mission, et que tant qu’elle agit pour le bien commun, je ne vois pas de raison de la blâmer. Libre à toi d’être touché.e #oupas par son action et par conséquent, de lui attribuer ta sympathie, voire ta gratitude, que tu pourrais bien transformer en un achat ultérieurement. Ne crie pas à la manipulation, s’il te plait. Ce serait renoncer à ton libre arbitre, à ta capacité à ne pas tout mélanger, entre émotions et décisions. Sache en tout état de cause, que je ne te le reprocherai pas !
Car après tout, nos émotions nous appartiennent. Notre liberté est aussi là, dans cette faculté d’exprimer nos émotions comme bon nous semble. D’accord ou pas d’accord, notre réaction émotionnelle à tout type de message, se manifeste par une position subjective. Un avis est subjectif par définition. Dans sa prise de parole, Michael évoque Dove, marque qui a embrassé des partis pris très forts, il y a déjà des années, notamment en refusant de recourir à des mannequins parfaits et à des images retouchées, luttant pour redonner confiance aux femmes dans toute leur diversité, toutes les différences, affirmant avec force que la beauté est dans nos têtes, dans nos cultures, et surtout dans notre regard individuel sur nous-même et sur le monde extérieur. On peut en penser ce que l’on veut. La campagne « real beauty sketches », en est un brillant exemple. Nous sommes subjectifs parce que nous avons des émotions et que la mémoire de nos expériences intervient aussi dans l’interprétation que nous faisons d’une réalité. Les effets de la psychologie positive sont un exemple de ce que nos cerveaux filtrent les informations en les distordants quelque peu selon notre état émotionnel. Et c’est aussi ce qui rend l’être humain si complexe et tellement passionnant.
Alors pourquoi un juge ? Pourquoi faudrait-il en juger ? La décence est un jugement, c’est le respect des convenances et de l’ordre moral (d’après la définition classique). Ce que je considère décent, n’est que ce que l’ordre moral m’a appris à respecter. Ah bon !? Mais le marketing doit-il respecter l’ordre moral ? Ne doit-il pas, au contraire, créer, faire avancer les consciences vers ce qui est nouveau, ce qui est hors normes ? La normalité comme critère d’appréciation des marques est une illusion. Plaire au plus grand nombre, établir un consensus, comme le suggère mon ami Fabrice, est une vision datée pour ne pas écrire démagogique, de ce que nous souhaitons tous, i.e la valorisation de notre individualité. Le marketing du 20ème siècle a échoué pour cela. Les marques en souffrent encore. A tel point que certains les pensent perdues, mourantes, à l’agonie face aux crises qui se succèdent.
Je ne crois pas que Pierre Desproges, qui affirmait pouvoir rire de tout, ait jamais fait rire tout le monde (à la fois). Il a toujours été clivant. Il a toujours été engagé jusqu’à l’outrage (à magistrat). Merci à lui. Rire avec lui, c’est certainement dépasser de beaucoup les convenances et la morale imposée par les bien-pensants. Mais c’est rire d’abord ! Sans ces émotions magnifiques, pourrions-nous nous souvenir de ses performances au tribunal des flagrants délires ? Je ne le crois pas. Nike ou d’autres ont compris que les combats les plus clivants méritent d’être menés jusqu’au bout, y compris quand certains s’en offusquent ou crient à la récupération. Bien sur, nous sommes parfois choqués, parfois surpris, parfois séduits par des messages propulsés par des marques. Lorsqu’elles transforment leurs prises de parole en actions, ou inversement, nous pourrions les aimer pour cela. Ou au contraire, exprimer notre désaccord.
C’est précisément le rôle d’une marque que de créer ce genre d’engagement. Je crois que toute crise est un amplificateur de nos émotions collectives et que nous sommes dans ces moments là, beaucoup plus sensibles, plus allergiques ou plus empathiques. Rien n’étant plus conforme à la normale, aux convenances, tout appel à la décence tombe alors dans le vide. C’est dans ces situations qu’il faut se recentrer sur la mission, la raison d’être de la marque et partager dans le respect de ses valeurs, des combats utiles à la société, à nos collaborateurs comme à nos clients.
Etre émotionnel n’est pas indécent, c’est au contraire être libre. C’est en tout cas, ce que je crois.
PS : lisez l’article qui m’a été poussé par Aurélien ici.