Pour ceux qui m’ont connu sur un court de tennis, la question ne se pose pas ou prête à rire, et même si c’était il y a fort fort longtemps, il est clair que le génie du tennis ne m’a jamais approché. Mais comme le rappelait avec une gentillesse infinie mon camarade amateur de belles balles et néanmoins belge, j’ai toujours été fan de ce rebelle génial. Rappelons à ceux qui n’ont pas connu cette époque magique des Borg, Connors, Mc Enroe, que John, le sale gosse au bandana, est toujours détenteur d’un record du monde : celui du ratio victoires / défaites sur une saison avec 82 victoires pour 3 défaites en 1984 ! Une année qu’il commença par 42 victoires d’affilée avant d’échouer face à Ivan Lendl en finale de Roland Garros après avoir pourtant corrigé le tchèque pendant les deux premiers sets ! Pour les puristes, vous noterez aussi que John est avec Stefan Edberg (une autre de mes idoles) le seul joueur de l’histoire à avoir été numéro un mondial en simple et en double.
Or au-delà de la performance, John est un génie et, évidemment pas moi. Ça se saurait, pourrais-tu me répondre avec impertinence, et je te l’accorde volontiers. Mais la question est ailleurs. Qu’est-ce qui fait la différence entre le génie et le savoir-faire reconnu (plus ou moins) ? Plusieurs points clés me semblent utiles à rappeler ici, dans un cadre marketing :
- John a une technique parfaite mais c’est la sienne ! (j’écris a une technique et non avait, parce qu’il joue encore et que la technique ne s’oublie pas… au sens où notre cerveau l’a enregistré et la maintient durant toute notre vie – hélas pour moi…) Nombreux sont ceux qui se méprennent sur mon intention lorsque je pourfends d’un coup de sabre, les vendeurs d’outils marketing. Il ne s’agit pas de lutter contre les outils, il s’agit de dire aux marketers qu’un bon outil n’a jamais compensé le manque de maitrise technique (sinon tu penses bien qu’il suffirait d’acheter la raquette de John pour jouer comme un dieu !)… D’autre part, il n’est pas du tout efficace de chercher à imiter la technique des autres, pour deux raisons : c’est beaucoup plus difficile que l’on ne l’imagine, et cela ne restera jamais qu’une imitation – pourquoi paierait-on pour obtenir ce qui existe déjà ?
- John est un rebelle et moi aussi ! Or je vois partout dans le monde du marketing les ravages de la coolitude, qui engendrent tellement de ‘je suis tellement d’accord avec toi’, avec les règles établies, la majorité bien-pensante et le microcosme auto-satisfait de ces piètres résultats. Certains en ont fait un business mondial et continuent de surfer sur notre goût pour le médiocre partagé… Non !! Révoltez-vous ! Quand une marque fait une connerie, je prends ma plume et je le dis haut et fort. Le marketing n’est pas une science, nous sommes d’accord. Alors si nous devons converser, soyons engagés et arrêtons d’applaudir pour être vus. Ne pas être d’accord, ne pas accepter la règle dictée par les autres, c’est sortir du cadre et oser c coup de gueule sans se poser la moindre question sur la suite, les fameuses conséquences. Irresponsable ? Sans doute ! et alors ? Pourquoi faudrait-il être responsable au sens de la morale collective lorsqu’on la désapprouve ? (vous avez 4 heures).
- John n’est pas sérieux (et sans doute moi non plus…) ! La facilité avec laquelle John prenait ses adversaires à contre-pied est sans aucun doute l’une de ses plus grandes forces et ce qui le rendait d’une insolence folle. Mais ‘comment faisait-il ?’ reste la question flottant dans l’air à l’époque comme aujourd’hui, dans la tête de ses adversaires comme dans celle des spectateurs. Or la légèreté accompagnait à niveau égal un coup raté, une erreur de jugement ou un mauvais choix de jeu. le détachement dont John faisait preuve est admirable. Il jouait pour le jeu, sans autre pensée (du moins la plupart du temps). Il le dira dans une interview, s’il a perdu cette finale de Roland Garros, c’est (au-delà du mérite de l’accrocheur Lendl) parce qu’il s’est pris au sérieux, au sens du respect de l’adversaire, de la pression du match, de l’enjeu, de ce qui aurait constitué à n’en pas douter un accomplissement définitif de sa gloire et de sa légende (il aurait alors réalisé le grand chelem). Trop de marketers sont bridés par le sérieux, par les enjeux trop lourds qui pèsent sur leur sens créatif. A trop être sérieux on devient vite d’un ennui mortel !
- John est là où on ne l’attend pas ! Il faut se souvenir de la couverture du terrain de ce joueur hors normes en considérant son physique de grenouille ! Si l’on vantait ses jaillissements, une incapacité pour l’adversaire à le passer au filet, c’est parce qu’il jouait avec un coup d’avance. Le marketing c’est aussi cela ! Surprendre et être partout quand il le faut ! Je voudrais te préciser cher.e lectrice.teur que le mot omnicanal est trop souvent confondu avec omniprésent. Si tu veux surprendre, si tu souhaites être là où l’on ne t’attend pas, ce n’est certainement pas en envahissant les écrans, et les espaces que tu y parviendras. Etre capable de répondre ou de prendre la parole partout et à tout moment, ne signifie pas qu’il faut le faire en mode continu. Au contraire ! La très vieille idée répandue par les publicitaires des années 80 qui consiste à répéter, à multiplier la diffusion du message, jusqu’à saturer l’audience (souviens-toi de certaines marques aujourd’hui disparues…) est obsolète ! John avait un sens inouï de la surprise !
- John a confiance en lui et dans le jeu. Confiance en lui comme tous les champions, tous les sportifs de haut niveau, tous ceux qui prennent des risques, qui osent le changement, qui poussent leurs limites un pue plus loin chaque jour. Mais confiance dans le jeu, c’est aussi très important. Avoir confiance d’abord, dans les autres, dans le système dans lequel nous sommes chacun dépendant des autres. Ses plus grandes colères s’adressaient (en vain) aux arbitres, à très juste titre. Non pas qu’ils aient pris la mauvaise décision, mais surtout parce qu’ils lui faisaient perdre confiance. Or sans confiance pas de jeu, et pas davantage de business. Nous sommes dans l’urgence de comprendre que la confiance est ce qui nous permet de jouer, d’oser, d’imaginer, de créer, d’entreprendre. Faire confiance aux clients, aux clients fidèles sans exiger de contrôler leur engagement, faire confiance aux prospects qui s’intéressent à nous et qui finirons bine par se décider. Le retargeting est un désastre de ce point de vue là. Il démontre le peu de confiance du marketer dans la pertinence de son offre et dans l’intelligence de son futur client.
- John fait preuve de constance ! A l’image de certains autres grands joueurs, il a aussi joué avec les statistiques. Ce qui signifie qu’il ne s’arrêtait pas à un point perdu soit parce qu’il l’avait raté, soit surtout parce que l’adversaire avait trouvé la bonne réponse. Il recommençait. Il variait son jeu à l’infini mais il était aussi capable de rejouer le même point encore et encore sachant qu’à la fin, il réussirait à prendre l’ascendant. En marketing, nous mesurons sans cesse les résultats du coup joué sur l’instant, au lieu d’imaginer que chaque coup constitue une avancée vers l’objectif à long terme que nous nous étions fixé. La victoire est une somme de coups joués avec passion et confiance, sans considération pour l’instant mais pour la finalité. Ma mission demande de la constance. Une marque ne nait pas sur un coup. Elle se construit sur une succession d’actions, multiples, variées, renouvelées, qui consolident pas à pas le chemin vers le succès. Certes il y a le point du match, celui qui reste dans les mémoires, mais chaque point compte et aucun n’est plus important que les autres, tant qu’il rapproche de la victoire. Continuez et gardez confiance dans la mission est essentiel. Prenons Patagonia pour exemple…
Il y aurait certainement beaucoup à dire encore autour de cette légende du jeu et de la mauvaise humeur. Ce gars qui envoyait tout bouler avec la vitesse de son service de gaucher, m’a toujours impressionné, non seulement pour ses colères mais aussi pour sa vista, son toucher de balle, son humour décalé et arrogant, bref son génie. Merci John !
Dans le marketing nous avons aussi des mentors, des maîtres inspirants, plus rares et moins prestigieux que des philosophes ou des mathématiciens, ils n’en sont pas moins des « phares » (pour reprendre le titre d’un beau livre de Jacques Attali – et pour le citer dans le premier destin qu’il met en lumière – Confucius : « l’homme de bien s’afflige de son manque de talent, il ne s’afflige pas d’être méconnu des autres »…).
Pour autant, je voudrais rassurer ceux qui, comme moi, ne sont pas des génies. Il est inutile de copier la stratégie des autres. Il y a de place pour nous, pour vous, si toutefois vous êtes confiants dans votre vision stratégique personnelle, dotée de vos valeurs, de votre générosité, de votre humilité et d’une constance permettant de traverser les épreuves. Il vous reste à la définir… oui c’est du boulot !
Merci à Philippe d’oser et d’inspirer !
PS : si tu n’es pas d’accord, si tu trouves d’autres qualités indéniables et hors du commun à John ou à ton joueur préféré du moment (dis-moi que ce n’est pas Roger !), tu peux commenter cet article ! #BeYou