Quelle question ! Un appel à écrire le monde de demain est lancé aux femmes, digitales ou adeptes des belles plumes, et j’en suis à la fois heureux et titillé dans mon âme de scribouillard du marketing ! Pourquoi ? Après tout, les femmes ont toujours eu une vision du monde de demain (elles sont l’avenir de l’homme écrivait Aragon). Elles se projettent plus facilement dans le futur (peut-être ?) et imaginent une suite positive à toutes les histoires (sauf pour celles qui finissent mal, évidemment…). Elles aiment le beau. Elles sont plus émotionnelles, nous dit-on sans cesse. Des études le démontrent, j’en prends mon parti.
Alors comment passer de la vision, de la perception émotionnelle d’un monde positif, à l’écriture ? De ce que j’imagine de la beauté à la narration, le saut est-il quantique ? Observer, voir, est-ce suffisant ? Comme toujours, avant d’écrire, il nous vient des images, que nous fixons, que nous nettoyons d’éventuels parasites ou scories inutiles. Quels mots pour les commenter, les transmettre ? Voilà tout le problème posé à celui ou celle qui prétend nous écrire ce qu’il ou elle voit.

Aussi le luxe est un mot choisi à dessein, tant il sera davantage féminin à l’avenir, pour peu que l’on arrête de nous gaver d’images de bagnoles prétendument luxueuses là où elles me semblent surtout représenter quelques vestiges d’un monde matérialiste et consumériste. Demain le luxe sera l’amour. Mais lorsque « Dieu créa la femme » (film de Vadim sorti en 1956), a-t-il imaginé l’amour comme un luxe dont trop peu peuvent jouir ? Non pas que l’amour soit l’arme fatale des femmes, mais sans doute parce que nous sommes noyés par des images négatives de notre humanité, entre conflits, catastrophes sanitaires ou naturelles, interdits et débordements, crimes et châtiments. Dès lors, que nous envisagions une relation amicale ou simplement d’échange avec un inconnu comme avec un client, tout est devenu contractuel, conflictuel, tendu jusqu’au point de rupture, de déception, de colère, parfois, provoquant un stress peu enviable. L’amour est une ressource infinie que nous ne partageons pas assez.
Si j’écrivais le monde de demain, je le verrais avec mes yeux d’enfant. Je n’envisagerais rien que je n’aime pas. Un monde où l’on rit et danse, sans crainte de la censure morale. Le monde de demain doit nous libérer des contraintes, des interdits et des conflits. Nous aimons les autres, y compris lorsqu’ils sont cons (sinon pourquoi leur dire) mais nous n’avons plus le temps de l’écrire. Un like, un retweet suffisent, pensons-nous, à dire je t’aime. Quelle erreur ! Faut-il être romantique pour imaginer des mots pour exprimer ce que nous ressentons ? Devons-nous jeter à la poubelle les emojis qui ponctuent nos journées comme autant de chiures de pigeons sur les pare-brises ou les bancs publics ? Vous souvenez-vous de ces lettres d’amour que vous avez reçues ? Comme la fragilité des mots vous a submergé d’émotion, vous en avez encore trace quelque part dans le fond de votre coeur. Sans mot écrit, qu’est-ce que l’amour ? Un ressenti ? La cristallisation d’une émotion forte ?
Au-delà de voir le monde de demain, il nous faut le ressentir.
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Mais si j’écrivais le monde comme une femme, je le verrai plus beau aussi. Plus tendre pourquoi pas, mais surtout plus nu. L’homme est épris de l’artificiel, de cette folle envie de surpasser le passé. L’homme est objet. Il a même imaginé la femme comme tel. Le luxe de l’homme est dans l’objet, dans un reflet artificiel de sa capacité à construire, à réaliser, à finaliser matériellement son expression de puissance, sa domination physique. La femme est, au contraire, à la recherche de la vibration des lignes, de la pureté des couleurs, de ce qui n’existe pas encore, de la beauté de l’aube ou de la nuit. Le monde de demain est un monde naturel. Respect de l’autre, respect de la nature, respect du corps, de la diversité, respect des espaces et des cultures, respect de la beauté sous toutes ses formes. Respect et non pas domination.

Un monde de demain pourrait-il valoriser l’humain et la nature, sans conflit, sans supériorité, sans exploitation ? Un monde de demain pourrait-il envisager les clients et les collaborateurs d’une entreprise comme des ressources essentielles, qu’il est indispensable d’aimer pour mieux les servir, mieux les comprendre aussi. Un monde de demain serait-il capable de valoriser le mieux, le beau, l’artistique et l’artisanat, le fait main, plutôt que le plus, le plus qu’avant, le plus de fric et le taux de croissance ? Je crois fortement, que les femmes ne jouent pas au concours de la plus grosse. Elle visent l’excellence dans la beauté, dans le sublime, dans la différence. Et c’est justement cela qui changerait le monde…
Mais puisqu’on demande aux femmes de nous écrire ce que sera l’avenir, j’espère qu’elles feront preuve d’audace dans la narration. Car lorsque j’entends que l’humanité raconte la même histoire, vit le même mythe décliné à l’infini depuis sa création, je suis perplexe. Il me semble qu’un monde différent n’est possible qu’avec une histoire différente. Changeons de héros, arrêtons de donner des médailles aux braves, aux champions olympiques, aux meilleurs traders, et de couvrir de millions de jouets de ballons ! L’idée que le héros (oui je n’oublie pas qu’il y a aussi des héroïnes, mais leur existence n’est-elle pas un contre-poids calqué sur les mêmes indicateurs de succès ?), doit réussir une performance exceptionnelle pour effacer des tablettes, le commun des mortels, pour approcher ainsi la figure idéale du dieu (de l’idole, de la star), me parait désuète, vide de sens. Je suis pourtant un compétiteur (pas toujours en réussite), mais je le dois à mon éducation d’homme. Heureusement mes grands-mères m’ont transmis le sens du beau. Cette envie de contempler sans envier me ferait rester des heures devant les vagues de la côte basque ou les sommets des Alpes, comme devant le cheminement ordonné d’une tribu d’éléphants africains, ou un noir de Soulages. Le monde de demain peut encore être beau. Il nous appartient d’y croire et surtout de l’écrire.
Alors j’ai hâte de vous lire mesdames et si vos plumes sont aussi joliment ciselées que vos jambes bronzées, je ne vous cacherai pas mon admiration.
PS : pour toi qui t’intéresse aux images, tu peux lire une interview de Jessica M. Kirk (photographe) ici ! Elle explique pourquoi il reste un travail considérable pour nous libérer des clichés stigmatisants sur le corps des femmes (un sujet d’une folle actualité en France aussi)…