J’ai déjà évoqué cette société qui conseille les entreprises sur leur signature olfactive, et qui travaille beaucoup pour un marketing sensoriel. Natarom est une société dynamique, et lors d’une riche conversation avec Geneviève Renou, nous avons exploré une autre dimension de nos expériences sensorielles. Car toute expérience n’est pas seulement une recherche de mémorisation. Si nos sens jouent en faveur de notre capacité à nous souvenir, des choses, des gens et des lieux, bref des moments de vie les plus joyeux comme les plus tristes, ils ont un rôle essentiel pour notre imagination.
Alors lorsque Geneviève m’explique comment elle a conçu (avec des parfumeurs) un dispositif pour une exposition artistique à Marseille, je l’interroge sur l’intention initiale : s’agi-il de lier un parfum, une senteur, à une oeuvre précise, voire à un artiste ? Est-il question de créer une ambiance susceptible de favoriser le partage futur de l’expérience du visiteur, en lui donnant autre chose à partager que des oeuvres pas forcément faciles à décrire ou à) expliquer ? Et l’idée qui est à la base de ce projet est beaucoup plus lié à nos émotions dans l’instant. L’idée est d’éveiller notre imaginaire, de faire en sorte qu’un climat favorable, une ouverture sensorielle, provoquent notre cerveau et l’incite à ressentir profondément la rencontre avec l’art.

Ainsi le parcours olfactif vient couper le visiteur du monde. Il est invité à oublier d’où il vient, à la fois en termes de lieu ou d’espace de vie, et aussi en termes de culture, de références et sans doute aussi de biais cognitifs liés à des conversations préparatoires à la visite. Voilà qui change tout ! On peut donc « balader » le visiteur en lui proposant des senteurs, des parfums naturels ou recréés pour la circonstance qui vont littéralement le plonger dans un ailleurs inconnu et débarrassé de tout a priori. Geneviève me décrit un concept semblable pour un château dans lequel on visite une salle des bains, vidée de ses occupants historiques, mais que l’on imagine aisément grâce à un parfum évoquant des effluves agréables du passé. « Sans cet artifice olfactif, l’expérience manque de vie. Elle est beaucoup moins émotionnelle parce que le visiteur ne ressent pas vraiment les choses comme elles étaient dans le temps »…
Alors quand je propose la madeleine de Proust comme une trouvaille marketing ayant valu à son auteur d’être connu de tous, je comprends bien que le souvenir ne provient qu’à la suite d’une expérience réussie (marquante a minima). Ainsi je dois d’abord vivre pleinement mes émotions, si j’espère en conserver quelque trace. Or pour atteindre cet épanouissement de nos sens, il faut sortir de la « pollution » quotidienne dans laquelle nous les laissons.
La crise covid-19 aura-t-elle altéré cette soif d’expérience ? Non seulement certains malades auront perdu momentanément leur odorat, mais tous les humains portent ou ont porté un masque filtrant l’air et parfois les parfums de notre environnement ! Nous avons tous envie de retrouver notre liberté, mais encore plus surement nos sensations. Notre envie de sentir la vie est immense ! Nous pourrions même nous renifler ! Si tu as acheté des fleurs chez ta fleuriste préférée, tu as dû éprouvé une certaine déception en tentant vainement d’humer le parfum de tes roses favorites avec un masque sur le nez. Il en va de même pour tous ces lieux dans lesquels nous entrons en respirant notre propre haleine. Ne serait-il pas plus joyeux de sentir quelque chose de différent que nous-même ?

C’est exactement ce que me confirme Geneviève. Les gens qui respirent des parfums dans des parcours d’exposition ou de visites de lieux, se sentent mieux. On voit davantage de sourire sur leurs visages. On les sent heureux de vivre l’instant. Alors si toutefois un parfum de bonheur s’incruste dans leur mémoire, n’est-ce pas merveilleux ?
Contribuer de la sorte à créer des expériences heureuses et mémorables est une performance. Si l’on doit en faire une mission pour le marketing sensoriel, il convient de lui donner un sens artistique. Travailler sur l’unicité de la découverte olfactive, associer les parfums aux oeuvres, aux lieux, c’est nous inviter à imaginer, à rêver, et finalement à nous souvenir.
Merci pour le voyage !