La distance est une notion essentielle en mathématiques puisqu’elle permet de donner une signification concrète à tout ce qui nous sépare les uns des autres, que nous soyons des atomes ou des humains. Elle nous autorise aussi à nous projeter dans le temps, dans l’éloignement comme dans la proximité. A combien d’années lumière sommes-nous du soleil ?
Mais qu’en est-il de la distance psychologique, celle que nous souhaitons réduire pour conclure un deal avec notre interlocuteur ou nos amis ? Dans un excellent article de HBR, Rebecca Hamilton, explique que la distance psychologique est composite des dimensions spatiale, temporelle mais aussi sociale et expérientielle. Les variations de distance sociales et expérientielles impactent de façon tout à fait décisive la compréhension de l’autre et son adhésion à un concept concret, comme peut l’être un produit ou une offre. Alors quand j’affirme (en me référant à Matthew Lieberman) que nos cerveaux humains sont sociaux et, qu’en conséquence, dès lors que nous avons vécu une expérience positive (y compris de manière purement émotionnelle), nous tenons à en faire profiter notre entourage (famille, amis et autres collègues), n’est-ce pas une volonté de réduire les distances entre nous ?…
En premier lieu la lutte entre le commerce local et la mondialisation de l’offre, donne un aperçu des paradoxes comportementaux du consommateur : tantôt prêt à parcourir 30 kms ou plus pour économiser quelques centimes sur un morceau de jambon, puis ravi de payer plus cher les légumes cultivés par des producteurs de sa région et vendus sur son marché. De même, une étude récente montre que le client du e-commerce est prêt à attendre 4 jours pour être livré (à condition que ce délai soit respecté) si la livraison est gratuite. Le temps et l’espace relatifs qui le séparent de l’offre sont tellement malléables que son comportement de consommateur en devient impossible à prévoir.
Et lorsque toute la communauté marketing nous sermonne sur l’urgence d’améliorer l’expérience client, de propulser du contenu sur des plateformes sociales, ne peut-on y voir une manipulation intéressée ? Car maîtriser les distances, c’est à nouveau prendre le pouvoir !
Si le consommateur semble s’être affranchi du pouvoir des marques, et avide de renverser le rapport de forces, n’est-ce pas dû à sa capacité retrouvée à se distancier des marques ? Si le client prend le contrôle de ses émotions, il sera certainement plus habile dans la négociation. S’il sort de la conversation réelle pour se réfugier sur son smartphone et « part » pour visiter le site e-commerce d’un concurrent ou pour prendre un avis extérieur, n’est-il pas simplement en train de se remettre à la bonne distance pour mieux réfléchir à sa décision ? Remettre à plus tard son achat, est aussi un moyen de nier le désir, ou l’envie immédiate.
Lorsqu’on prétend qu’un « bon marketing » consiste à délivrer au client, le bon message au bon endroit et au bon moment, on traduit cette volonté de maîtriser à peu près les 4 dimensions de la distance psychologique. Reste que le client est d’une extrême mobilité temporelle, évidemment spatiale et qu’à la fois sa gourmandise d’expériences, efface sa mémoire, reboote son système d’évaluation des offres de plus en plus vite et son statut social évolue sans cesse, au fil de sa journée comme de sa vie. Il me semble plus juste de considérer que le client est devenu extrêmement difficile à atteindre, où qu’il soit, de plus en plus instable socialement parlant, et impatient au point d’en perdre la vision de l’avenir.
Les marques peuvent-elles, dans ces conditions, espérer se rapprocher de leurs clients, au point d’évoquer une certaine proximité ? A l’inverse les clients souhaitent-ils vraiment perdre leur distance et se trouver à nouveau sous l’emprise psychologique de celles-ci ?