On se connait depuis longtemps déjà et j’avais en tête qu’un jour viendrait où l’on pourrait parler d’expérience client dans le luxe et le retail, tranquillement, en prenant le temps d’aller au bout de nos convictions. Et puis, une interview émotionnelle de Jérôme (@JeromeMONANGE ), c’est un plaisir ! Que j’ai envie de partager avec toi, cher lecteur.trice. Alors profite !
Patrice : Jérôme, tu as commencé dans le retail ou dans le luxe ?
Jérôme : En fait, j’ai longtemps été poursuivi par mes études même si je les ai rattrapées par la suite ! Dans ma famille, on faisait du droit, alors j’ai suivi la tendance, et je me suis vite rendu compte que ça n’allait m’emmener là où je le désirais. Et puis côté grand-père, il y avait un historique dans le mobilier, dans le magasin de meuble avec l’enseigne Mobilier de France. Alors, je me suis plutôt tourné vers ce secteur d’activité, dès la fin de mon service militaire. Je suis rentré dans la vie professionnelle et j’ai appris mon métier à Dijon, ma ville de naissance.
Patrice : et donc le luxe est venu après ?
Jérôme : J’ai toujours eu une sensibilité artistique. Une envie du beau plutôt que du fonctionnel, si tu préfères. D’ailleurs j’adore cette phrase de Yves Saint Laurent que j’ai fait mienne « Sans les fantômes de l’esthétisme, la vie serait impossible ». Alors il y a un moment où j’ai préféré Roche Bobois à Leroy Merlin, pour le dire autrement, et avec une vision un peu naïve de l’époque. Evidemment, avec le recul, et d’autres expériences, j’adore ce que font certaines enseignes qui sans être haut de gamme, ou luxe, proposent de vraies expériences humaines à leurs clients comme à leurs collaborateurs. J’ai vécu une très belle histoire chez Kiabi ! C’était génial car avec une fonction transversale, je pouvais imaginer de nouveaux concepts à tester en magasin. On a développé un magasin sur le rayon « Homme » , ce qui était nouveau pour l’enseigne, et qui est devenu assez vite le plus grand de France. Cinq années à insuffler une dynamique auprès d’autres managers de points de vente, et à diffuser des idées et des compétences sur le terrain mais aussi au siège. Je suis devenu un manager par compétences et non pas par niveau hiérarchique. C’est d’ailleurs, un signal fort que le groupe Mulliez propage au travers de ses marques.
Il y a une reconnaissance de la performance et de l’inspiration que chaque collaborateur peut apporter à tous, au service de l’enseigne.
Plus tard, je suis parti, ayant un peu fait le tour, et souhaitant découvrir d’autres challenges comme chez Devred ou Natalys, non sans avoir fait un retour dans le luxe avec la gestion de boutiques Hermès, Galerie Lafayette où l’ouverture de boutiques duty free de luxe pour Givenchy, et Ferragamo, par exemple . Mais l’habillement est un secteur où il y a un fort turnover dans les équipes et où la stratégie du presse citron s’exerce au détriment de l’humain. Aujourd’hui je suis passé à autre chose, je suis conseillent marketing et communication ! J’ai créé mon lab !
Patrice : justement, d’après toi, qu’est-ce qui justifie encore le luxe aujourd’hui ?
Jérôme : Je pense que la différenciation de l’offre, le côté exceptionnel et émotionnel du produit sont des atouts majeurs pour le luxe. Il y a dans le luxe, l’idée de l’excellence des matériaux et des techniques. Mais l’expérience du luxe, c’est aussi la coupe de champagne quand je viens chercher mes chaussures et que l’on me propose d’aller les chercher dans un autre magasin lorsque le coloris de mon choix n’est pas disponible. Comme me le faisait remarquer, l’ancien directeur marketing d’Apple France que je connais bien, m’envoyer sur le site internet pour commander le produit que l’on n’a pas en stock dans la boutique n’est pas une expérience luxe. Le digital est très difficile à appréhender pour le luxe car tous les sites peuvent se ressembler. Le luxe c’est l’affirmation d’une réelle différence. Et puis, il y a cette notion qui tend à s’estomper : l’intemporalité. Une marque comme Chanel, ou Hermès, s’impose et reste intemporelle. De nombreuses marques de luxe se sont mises dans l’obligation de courir après la mode. C’est bien plus compliqué de se renouveler tous les deux ans. Si tu regardes ton iPhone, tu peux croire que c’est du luxe. Oui mais Bernard Arnault te répondra : on en reparle dans dix ans et si on compare à une bouteille de vin d’un grand cru classé conservé dans ma cave, je serai gagnant. Le luxe, c’est ça !
Patrice : et dans l’expérience client, n’est-il pas possible de proposer l’excellence sans être une marque de luxe ? D’ailleurs, les expériences dans les magasins de luxe sont-elles à la hauteur ?
Jérôme : Le problème essentiel vient de ce que le retail pense encore que le merchandising et le produit font la différence de manière évidente. Or tout est livré par Amazon en moins d’un heure. Alors tant que tu es réellement différent, cela peut suffire, mais à long terme, il vaut mieux parier sur l’expérience. Et là, c’est une question de management. Je crois que le magasin peut et va survivre au digital. c’était déjà ma conviction, il y a dix ans et je maintiens cette croyance forte, cet engagement. Mais cela ne peut se produire qu’avec des managers éclairés. Des personnes qui misent davantage sur l’humain que sur la technologie, lorsqu’il s’agit d’établir une relation client physique. Les managers actuels sont obsédés par les résultats, par le ROI des actions marketing ou par la communication. Ils investissent très peu, trop peu sur l’humain. Il y a un énorme travail à réaliser pour changer les mentalités et remettre l’expérience client au coeur.
Patrice : comment fais-tu pour porter ce message ? pour trouver tes clients ?
Jérôme : J’ai mon site internet et puis surtout, j’ai pris des positions claires sur les réseaux sociaux, qui me positionnent aujourd’hui comme un influenceur, même si le terme devient un peu galvaudé. Je donne des formations, je conseille sur la stratégie de communication ou la stratégie des marques et enseignes. Par exemple, dans quelques jours, j’interviens sur le MAPIC à Cannes sur la thématique de l’omnicanal et de la réinvention du magasin, et je compte évidemment rencontrer quelques décideurs attentifs à ma vision du retail et de la distribution. C’est mon expérience professionnelle que je mets au services des autres. Je fais également beaucoup de veille et je publie régulièrement des articles pour partager des convictions et gagner en visibilité. Le réseau est là aussi pour me proposer des opportunités.
Patrice : et comment concilier ton rôle de conseil avec ton goût d’esthète ?
Jérôme : J’ai toujours aimé l’image en général. J’ai une passion pour la photo. j’aime le vin et la café, par exemple. Donc il est difficile de me raconter des histoires sur ces sujets là, j’ai cultivé l’exigence. Je crois d’ailleurs que l’image du luxe n’est pas accessible à tous. Il faut travailler avec cette exigence de beauté, voire de perfection, pour que les sens du client soient stimulés positivement. L’expérience, c’est aussi la justesse, la finesse dans les choix, dans les couleurs, dans le ton de la voix. Mais il y a derrière cette attitude, l’idée que le regard de l’autre nous aide, nous détermine. Dans l’expérience client, être capable de conseiller, de guider, de rassurer sur un choix, comme pour des lunettes par exemple, est une qualité rare. C’est sans doute ce que l’on attend du luxe mais pourquoi pas, de tout type de point de vente. Il faudrait recruter davantage sur ces qualités là, comme chez Apple Store, qui ne met pas le critère « expert de la tech » dans son recrutement. Le relationnel est bien plus essentiel !
Patrice : merci Jérôme et à très bientôt pour de nouvelles expériences à partager !