L’économie sociale et solidaire existe depuis longtemps ; tous les participants présents sont d’accord au moins sur ce point : il n’a pas fallu attendre le 21ème siècle pour constater que l’entreprise, l’organisation pouvait parfaitement avoir pour but l’amélioration de la vie des gens ou la protection de leur environnement. Mais c’est pourtant une grande première à laquelle j’ai eu le bonheur d’assister en me rendant à la Cité Universitaire Internationale. Comme lorsque j’étais étudiant à la Faculté de Paris X Nanterre, je suis arrivé à la fin !…
Mais cette deuxième journée ou plus précisément cette dernière après-midi a été d’une richesse d’échanges tout à fait remarquable. Bravo aux organisateurs (parmi lesquels Mouves et Make Sense) !
Tout a (très bien) commencé avec un plateau de qualité, animé par l’excellente et ex-ministre Axelle Lemaire (qui m’a fait une surprise involontaire en déjeunant dans le même bistrot que moi), accompagnée de Fred Mazzella (BlaBlacar), Jean Moreau (Phénix), Agathe Wautier (The Gallion project) et Ismaël Le Mouel (HelloAsso). Les débats furent animés autour des différentes visions de ce qu’une entreprise et ou doit tenir comme engagements forts notamment en matière de protection de l’environnement ou de sauvegarde des ressources de la planète. Faudrait-il absolument être une ONG, ou une fondation d’intérêt public pour remplir ce type de mission ? Par ailleurs quels sont les moyens que l’Etat, ou la nation (si l’on veut bien inclure les citoyens dans les modèles de financement participatif), accepte de consacrer au développement de l’économie sociale et solidaire ?
Fred Mazzella défend avec vigueur l’idée que chaque entreprise peut et doit faire des efforts et que la sienne, chiffres à l’appui, donne l’exemple. En effet, le co-voiturage promu par Balblacar depuis une dizaine d’années déjà, est parvenu à économiser l’équivalent de 80 000 T de CO2 soit plus que l’émission d’une ville comme Paris sur une année. Impressionnant mais la Tech est elle aussi consommatrice d’énergie, et ne pas prendre l’avion n’est pas forcément la meilleure des solutions. Rappelons tout de même que l’alimentation (dans sa globalité) représente près de 27% des mêmes émissions nocives et responsables du réchauffement climatique. Alors si chacun ou chaque organisation (quelle soit capitaliste n’est pas en soi un obstacle, me semble-t-il), adopte certaines pratiques plus responsables, une gouvernance plus démocratique et soucieuse du bien-être de ses salariés mais aussi de l’ensemble des habitants de la planète, nous devrions vite faire des progrès. Toute la question repose sur la motivation des acteurs qui sont aux commandes ou qui créent les nouvelles entreprises. Faut-il d’ailleurs, les aider financièrement, promulguer des lois qui favoriseraient leurs business, ou encore inciter les populations à adopter leurs produits ou services de manière préférentielle ?
Vaste sujet ! On le voit, la prime à la voiture électrique, n’est pas nécessairement une réponse correct, puisque le problème est bien davantage de pouvoir recharger ses batteries et peut-être même de trouver autre chose pour stocker l’énergie électrique que des batteries polluantes et dont nous ne saurons pas nous débarrasser plus tard. Alors qui serait l’arbitre ? Qui pourrait décerner un label ou une certification validant les engagements pris par l’entreprise ? Sur quels résultats nous appuierons-nous pour justifier telle ou telle solution (les éoliennes ne sont pas rentables et posent tout de même quelques soucis d’esthétisme pour nos paysages préférés) ?…
Quelles propositions retenir de cette première discussion ? Les 4 intervenants ne sont pas venus seulement en discuter, ils souhaitent défendre une idée face au public et demander à la salle de voter (merci au passage à Klaxoon) en direct. Les résultats me semblent assez évidents et par ailleurs plutôt logiques : nous voulons que les entreprises de la Tech intègrent des critères de responsabilité forts dans leurs statuts mais aussi dans leurs actions et que celles qui sont les plus engagées bénéficient d’un soutien de l’Etat et d’une reconnaissance de la nation. Gratitude oblige ! (55% des votes pour la proposition 4)
Alors la deuxième table ronde réunit pour nous des représentants des organismes certificateurs ou fédérateurs des différents courants d’entreprises sociales. Ils viennent nous exposer leurs idées ou leurs difficultés pour parler d’une seule voix. Intéressant lorsqu’au bout d’une quinzaine de minutes, chacun dans la salle comprend que les intervenants défendent leur vision, leur territoire et leur organisation. Exister à titre individuel dans un collectif est-il possible ? (un débat pour un prochain #fridayvideo ?)
J’adore ce moment de grâce lorsque Elisabeth Laville de B Corp, parle vrai et s’insurge contre cette manie française de tout noyer sous des querelles sémantiques. Faut-il vraiment débattre de la mission, ou du purpose, de la raison d’être ou du why ? L’essentiel n’est-il pas davantage dans les actions, dans le Do it, plutôt que dans l’explication de texte ? Elle ne sera pas, hélas, entendue, puisque dans la foulée les autres prendront un malin plaisir à rappeler leurs différences, leurs particularismes. Ils sont tous motivés, ne te trompe pas cher.e lecteur.trice, et voudraient en effet être entendus, tous ensembles, convaincus qu’une voix forte doit émerger face aux pouvoirs publics mais aussi face au peuple, aux entreprises. Ce n’est pas gagné ! On sent qu’il suffirait que les américains, les chinois ou mêmes les scandinaves se lancent dans la brèche pour devenir les référents internationaux, alors même que nous sommes dotés des meilleurs cerveaux et que la France est en avance en matière de RSE sur le reste du monde… Allez on se réveille !
Place au dessert de cette journée ! Entre en scène Audrey Pulvar, modératrice espiègle de la dernière (et double) table ronde, sur laquelle se retrouvent associés Roland Lescure (Député et rapporteur de la loi Pacte) et Dominique Carlac’h (vice-présidente du Medef) mais aussi Thierry Beaudet (La Mutualité Française) et Jonathan Jérémiaz (Mouves), et plus tard Christophe Itier (Haut commissaire à l’ESS et à l’innovation) et Laurent Berger (CFDT). Ça promet d’être chaud ! Mais lorsque Roland Lescure énonce les trois étapes contenues dans la loi afin d’embarquer les entreprises françaises dans la mutation du 21ème siècle, on est obligé d’admettre que le gouvernement est parti dans la bonne direction. La Loi Pacte prévoit ainsi que toutes les entreprises devront inscrire dans leurs statuts un objet réellement social et responsable. Elles pourront ensuite devenir des entreprises à mission (sur la base du volontariat), et afficher cet avantage concurrentiel probablement indispensable. Comme le déclare avec émotion, Dominique Carlac’h, « nous ne recruterons plus, nous n’attirerons plus les talents, ni ne séduiront leurs clients sans affirmer clairement ce qu’est leur mission sociale et responsable« . Le défi de la concurrence ne sera plus sur les prix, les produits ou la rentabilité mais bien sur la mission !
Wahou ! Enfin ! Comme tu l’imagines (excuse-moi Véronique pour cet emprunt), cher .e lecteur.trice, je me réjouis de cette belle prise de parole, appuyée par la salle et par les autres intervenants. Nous entrons dans une nouvelle ère pour les entreprises où exprimer clairement une mission, un combat qui surpasse les enjeux financiers ou business, sera vital, et décisif pour la réussite. Et non, ce ne sera pas l’apanage des communicants ou marketers décriés par Thierry Beaudet (sans que personne ne bronche), qui prend peur légitimement en arguant que le « green wahsing » laissera bientôt la place au « why washing » alors que lui existe et revendique son rôle social de mutualiste depuis un siècle et demi ! Tu devrais, cher Thierry, suivre l’exemple de ton confrère Pascal Demurger et des campagnes engagées de la MAIF, qui t’a pris de vitesse, grâce aux communicants et aux marketers pour apparaitre sur ce marché comme un leader d’opinion incontesté !
Demain appartient à ceux qui comprennent tôt ! Ceux qui osent, ceux qui font le pari de l’engagement, ceux qui évoluent plus vite et reconnaissent l’erreur de Descartes (relire Damasio). L’émotion est ce qui fait bouger les lignes et les humains dans le bon sens. L’engagement est ce qui les réunit pour mieux vivre aujourd’hui et demain.
Bravo aux organisateurs de cette première consacrée à l’entreprise de demain. Merci !