« Nous avons imaginé notre marketing sans vraiment nous plonger dans une analyse aussi poussée des implications en termes de valeurs ou d’engagement. Nous travaillons beaucoup à l’intuition et cela nous réussit plutôt bien » – William, CEO Asphalte
Etre ouvert à la conversation critique, solliciter un avis extérieur, sont des signes d’une intelligence rare, aujourd’hui. Dans un contexte trop évident de bashing des marques, je reconnais humblement que William m’a surpris et peut-être même retourné comme on le dit au Bureau des Légendes. Comment est-ce possible ? Pas moi !?..
Je t’assure, cher.e lectrice.teur, que j’ai été très heureux de notre échange et que cela a créé cette envie de reprendre ma plume, légère, pour parler de goudron. Parce qu’au fond la seule question qui vaille, et je remercie William de me l’avoir soumise, c’est bien celle de l’existence d’une marque au nom d’Asphalte dans notre monde d’après. Est-ce qu’on peut symboliser le goudron et pour autant, avoir une vision moderne et responsable de notre société et donc de nos consommations ?

Quand tu es goudron, peux-tu rester vert et agile ?
« Aujourd’hui 60% des vêtements achetés sont jetés dès la première année. Les dernières décennies ont vu l’explosion de la fast fashion sur le marché. Il est temps de vivre une nouvelle révolution » – William pour Brut – interview vidéo –
Evidemment, lorsqu’une marque, une toute jeune marque, se retrouve entourée d’une communauté qui l’aime et qui la porte , exprime un engagement sociétal, elle prend des risques (porter une marque est un geste très fort, et je l’expliquais dans l’article sur « ce que pensent les hommes qui achètent leurs fringues chez #Asphalte », les hommes sont en moyenne plus attachés à ces symboles d’appartenance et acceptent d’exhiber des logos plus facilement). C’est d’ailleurs ce que souhaitait éviter son fondateur, qui m’a expliqué qu’au départ, le concept était orienté sur l’usage et la qualité du produit proposé. Un produit qui ne s’abime pas avec le temps, ni dans l’usage et que le client sera heureux de porter pendant des années, voire de transmettre à ses enfants. Or cet engagement de durabilité du produit permettrait aussi de réduire la production textile mondiale, qui reste l’une des industries les plus polluantes. Un impact positif incontestable ! Mais éviter de tomber dans le piège du greenwashing, est un bon réflexe pour la marque, et nous devons nous en réjouir.

Et puis la pression sociale entre en scène. D’un coté, ceux qui poussent la marque vers sa responsabilité sociétale, en l’incitant à justifier ou à déclarer ses intentions de changer le monde de la mode, et de l’autre, ceux qui s’interrogent sur le recours à un mannequin de 50 ans roulant dans de vieilles voitures ou de belles bécanes, en liberté sur les routes, genre de Bardot masculin chantant les cheveux et la barbe dans le vent, qu’ils n’ont besoin de personne… Virilité assumée, mais pour quelle implication face aux enjeux de la planète ?
Je réponds alors à William, que je ne vois pas d’interdiction à être à la fois cet homme libre et affirmé que la clientèle des trentenaires voit comme un espoir et une incarnation d’idéal, et pourtant concerné, responsable au sens du respect de nos ressources et de notre terre. A-t-on encore besoin de rouler dans une mustang pour être un mâle ? Pour reprendre le cliché à l’envers, pourrions-nous rouler en vélo sur le goudron ? Ou faut-il aussi sortir de la route pour retrouver les chemins de terre de nos forêts ou de nos champs ?
La marque pourrait à la fois porter ce nom goudronné (un mot que je trouve assez joli dans sa sonorité) et inciter ses clients à la responsabilité environnementale. Changer les comportements en ne jetant plus ses fringues, c’est un premier pas immense. Expliquer quels impacts cela pourrait avoir pour la planète, c’est autre chose. Là, il ne sera plus possible de mélanger les genres. Un homme roulant sur un circuit dans un véhicule polluant, deviendra vite une symbolique contradiction difficile à gérer pour la marque. Encore que susciter le débat, la controverse, est souvent une excellente stratégie.
« J’ai déjà eu une expérience de marque plutôt lisse, qui ne se positionnait pas, qui voulait rester neutre, et j’en suis revenu. Cela ne fonctionne pas. Il faut accepter d’être clivant ! » – Willam – CEO de Asphalte

C’est toute la question de la congruence entre les valeurs, la mission (ou raison d’être) de la marque et les histoires qu’elle raconte. C’est passionnant de développer une marque sur de bonnes bases. Asphalte est à ce moment de son parcours où son exposition, sa notoriété atteignent un point de bascule. Elle a su fédérer une clientèle et aspire à poursuivre son développement. Elle ne pourra le faire qu’en racontant de nouvelles histoires qui toucheront de nouveaux clients. Mais elle ne peut et doit pas renoncer à son socle de valeurs sous prétexte qu’il faudrait faire plaisir aux uns ou aux autres. Ce serait de l’opportunisme et nombreux sont ceux qui la dénonceraient comme telle. Injuste ou pas, ce rejet serait un coup d’arrêt. Or je persiste à croire que la constance est essentielle à la solidité d’une communauté et à son expansion. Il faut réussir à concilier cette « image de l’homme » avec sa responsabilité. Asphalte doit trouver le moyen de rouler plus propre sans perdre cette liberté de James Dean du 21ème siècle !
Si jamais on me le demandait, j’aurais bien quelques idées pour marier le goudron et la plume…
Reste pour le moment, le souvenir souriant d’une très belle conversation. Les marques sont toujours une réelle source d’inspiration ! Elaborer leurs stratégies marketing est un champ d’expériences incroyable et infini à la fois.
Merci William et à bientôt sur la route !
PS : Je pense au moment de conclure à tous ceux qui ont sorti leurs colts (en plastique) pour tirer sur l’auteur des articles dénonçant une incohérence dans le storytelling de la marque, et je les remercie. Certes ils ne m’ont pas liquidé, mais ils ont piqué ma volonté d’aller plus loin. Sans eux, aurai-je rencontré William ?