Aujourd’hui mon ami Aurélien a publié une très belle et pertinente tribune dans Culture RP, et je l’en ai aussitôt félicité. C’est mérité. Dans le classement des compliments d’objet direct, sa place n’est plus à prendre. D’ailleurs, au moment même où je découvrais son texte sur la curation, cette folie du like et du partage de contenus qui nous a pris tant de temps sur nos vies sociales (au sens de l’échange humain dénué de cet intérêt maladif pour l’auto promotion), je lui adressais un message l’encourageant à la prudence dans ses apparitions médiatiques. Ah zut ! Mais le reverse mentoring, c’est aussi cela : apprendre de ceux qui vous apprécient et sont plus vifs, plus habiles, probablement plus talentueux et surtout moins expérimentés. Car au fond, à quoi nous sert aujourd’hui d’avoir vécu et su avant eux ?… Avant c’est derrière nous, et nous en sommes déjà si loin…

Quand j’étais petit, j’aimais bien faire des ronds dans l’eau ! Oui, c’est encore un de ces enseignements provenant de mon grand-père maternel, que de passer de longues minutes à admirer la propagation de ronds concentriques et consécutifs du plouf de ce galet poli entrant dans l’eau avec délicatesse. Or ce pavé dans la mare préfigurait ce que je préfère aujourd’hui dans l’expression d’une réflexion. Oui mon cher Aurélien, susciter la réflexion n’est pas relatif à la grandeur des cercles mais sans aucun doute à leur densité. Si notre prise de parole (écrite pour nos lecteurs) provoque une onde de choc (relative) c’est par l’intensité (la densité) du propos qu’elle contient. Autrement dit, plus le pavé est lancé avec force et selon un angle propice, et plus l’onde sera puissante. Dès lors, fort de cet acquis technique, faut-il se concentrer sur le premier cercle, celui qui semble à même d’aller le plus loin possible dans notre océan sans limites ?
Plus exactement, devrions-nous nous concentrer sur le premier cercle afin de maximiser la portée de nos messages ? #stratégie
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Je ne suis pas certain de te donner la bonne réponse, cher.e lectrice.teur, et je conçois ta déception, toi qui aime tant les « quick wins », comme le prétendent nos amis les conseils en branding de ta life. Ma conviction est double :
d’une part, j’ai envie de te dire que ton premier cercle est à ton image, et que sa qualité reflète nécessairement celle de tes réflexions. On invite rarement l’idiot du village à la tribune des grandes universités, comme tu le sais. A ceci, s’ajoute la qualité du lien affectif que tu entretiens avec ce premier cercle et qui peut influer grandement sur l’ampleur de la diffusion. Ceux qui sont tes apôtres porteront ta flamme au-delà des frontières naturelles qui te borne dans ton influence, sans même y voir un effort herculéen. A toi d’en profiter !
d’autre part, et c’est sans doute le revers abrupt du galet, il n’est pas exclu que ton premier cercle ne te fasse tourner en rond ! C’est exactement ce que les algorithmes des réseaux sociaux, sur lesquels nous sommes devenus bien trop bavards en quête de ce buzz que seul Georges Mohammed-Cherif peut incarner, ont détecté (vois-tu comme je glisse ici subtilement un compliment d’objet direct à celui qui est venu lire mon article sur le miam tout récemment ?). Il est temps de valoriser le temps que nous prenons à lire un contenu, et à rendre ainsi grâce au temps pris par celui qui l’a écrit (ou produit). Ouf ! Le premier cercle, lui, ne s’y résout pas. Il continuera de te promouvoir sans y penser, se sentant investi de cette tâche (non, tout de même, tu ne pensais pas que j’allais écrire cette mission !). Il est là pour te faire plaisir. Il te relaie pour améliorer ta visibilité et il reste là, assis comme toi au bord de la mare, en espérant que tes ronds dans l’eau seront à la fois beaux et propulsés vers des rivages inconnus. Le problème est qu’il ne se soucie guère de la qualité de tes textes. Il chanterait n’importe quoi pourvu que l’on entende ta voix. A la fin, il nous saoule et nous semble aussi creux qu’un puit sans fond.
…Aujourd’hui tu ballottes
dans des eaux moins tranquilles
tu t’acharnes et tu flottes
mais l’amour, où est-il ?
l’ambition a des lois
l’ambition est un culte
tu voudrais que ta voix
domine le tumulte
Tu voudrais que l’on t’aime
un peu comme un héros
mais qui saurait quand même
faire des ronds dans l’eau...
Alors comme Françoise Hardy qui chantonnait niaisement cette belle chanson, à une époque lointaine, nous comptons sans doute trop sur les autres pour nous transformer en star. Et si nous travaillions davantage à la pertinence de nos propos ?

Evidemment, vous pourriez m’opposer des milliers de contre-exemples, de ces contenus dénués de profondeur, voire même de toute réflexion qui ont brisé les barrières confinées du premier cercle pour s’emparer des plus larges audiences. Je ne doute pas que la portée de cet article vous fournira une occasion en or de démonter mon argumentation, si besoin. L’idée ici n’est pas de mesurer la visibilité d’une prise de parole mais bien son impact réel en termes de réflexions générées. Si j’écris ces lignes, c’est en rebond à la pensée d’un autre; une pensée qui démontre ainsi sa pertinence, puisque génératrice d’une nouvelle pensée consécutive. Là encore, est-ce suffisant ? Le marketing nous donne le mauvais exemple, une nouvelle fois. S’il suffit de réagir à la publication d’autrui en l’imitant, ou en la « personnalisant » pour créer un impact au-delà du premier cercle, alors les likers ont encore de beaux jours devant eux. Copier, plagier, imiter est un trait humain qui ne disparaitra pas. Pourtant, chacun le sait et l’apprend à ses dépends (comme dirait le corbeau de La Fontaine), la prime restera toujours à celui qui parlera en premier. Les ronds dans l’eau n’existe pas sans le lanceur de galet !
Et c’est à ce moment-là que l’image du visage heureux de mon grand-père, béat devant les prodiges de l’étang à peine troublé par nos jets de pierre, me revient et s’interpose avec élégance dans ce tohubohu. Chaque galet, et mieux encore chaque combinaison galet / lancé provoque une onde différente ! Pour celui qui comme nous regarde ce phénomène avec des yeux sensibles à la beauté de la nature, le spectacle est magique. Rien ne dit à l’avance, ce que sera le destin du prochain galet ! C’est d’ailleurs tout la beauté du geste que de n’être que très peu prévisible. Cela nous renvoie à la vicissitude de la vie mais surtout à la prétention de tous ceux qui savent te dire si tel ou tel prise de parole va « faire un carton ». Quelle prétention ! Quel dérisoire manque de vison artistique !…
Pour revenir sur le propos initial de ce papier, je te propose une non-conclusion : sans premier cercle pas de propagation !
Mais l’enjeu du marketing n’étant pas de séduire ceux qui t’aiment déjà, il serait plus malin de lancer correctement de très beaux pavés dans la mare !
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Ainsi si tu augmentais ta fréquence de tes lancers et si, en conséquence, ceux-ci rencontraient une fois la surface exactement au bon instant, avec la force idéale, tu verrais des ronds bien au-delà du premier cercle. Les réflexions qui te reviendraient alors, bien qu’affaiblies par la distance, n’en seraient pas moins riches et créatrices de prochaines opportunités de conversation et peut-être de business. Peaufiner ses contenus, c’est écrire et écrire encore. Un jour, l’un d’eux atteint la rive éloignée et crée la rencontre tant attendue. Il faut donc beaucoup de patience et de persévérance pour réussir le bon lancer. Pour cette raison, la plupart des plan d’actions inbound marketing ont échoué à montrer des résultats à temps. Focalisés sur le premier cercle, nous avons oublié un peu vite que l’onde poursuit sa route lentement et qu’au plus loin elle va, au plus long sera la retour vers nous.
Dans une chronique sur le temps d’après, j’incitais les marketers à considérer le temps long comme celui qui est devant nous. J’espère ici inciter ma.mon lectrice.teur à prendre le temps d’y réfléchir sous un autre angle. S’il a fallu quatre jours à Georges pour découvrir mon post sur Linkedin, c’est précisément parce qu’il a dépassé (et de beaucoup) mon premier cercle (merci à eux). Si j’ai tenu à remercier Aurélien pour son inspiration du jour, c’est parce que nous faisons, à distance, de jolis ronds dans l’eau !

PS : si tu comptes ton temps, prends le pour écrire mais aussi pour attendre sagement assis au bord de la mare que les ronds se forment à l’infini. N’oublie pas que la beauté est dans le regard de l’autre et continue de lancer.
PS2 : si tu as aimé cette histoire de galets lancés dans un étang, c’est certainement que nous pourrions en imaginer d’autres ensemble… on en parle ici !
PS3 : si tu confonds encore cible et cercle… comment te dire ?