Sincèrement ? Sérieusement ? Lorsque Sylvain m’interpelle sur la question de l’authenticité proclamée qui pose problème à l’essayiste et journaliste Anne-Cécile Robert, je m’interroge sur ma légitimité à répondre. Oui mais, l’auteure de plusieurs ouvrages évoque la « stratégie de l’émotion » (que je n’ai pas lu) en écho à « la stratégie du choc » écrit en son temps par Naomie Klein (que j’ai lu). Or il y a là une réflexion sur la dimension politique de la montée des émotions dans nos conversations sociales, et dans leur sur utilisation dans les media. On est semble-t-il loin des préoccupations marketing et même personnelles, l’idée ici étant de dénoncer ce recours à l’émotion comme une stratégie visant à manipuler les foules, les opinions et in fine les élections donc la représentation du pouvoir.

Néanmoins, la phrase retenue par Sylvain s’applique elle, avec pertinence au grouillant monde de Linkedin et revient une nouvelle fois sur ce que nous y disons. A mon humble avis, nous y racontons des histoires ! Mais est-ce pour autant que nous ne sommes pas authentiques ou tout au contraire, ainsi que le défendent certains, devons-nous justement être authentiques pour susciter l’adhésion de notre audience au récit ?
Nicolas poste ce matin, une jolie photo portrait avec chapeau. Bravo, elle semble authentique ! C’est lui et c’est aussi lui qui prend la plume avec élégance pour nous annoncer qu’il réfléchir à une nouvelle offre, un nouveau positionnement de ses missions, une nouvelle aventure (peut-être). Sincérité du propos, à n’en pas douter, et, conséquence heureuse, nombreux commentaires positifs : vas-y mon gars, nous sommes avec toi !… Normal et mérité (nous aimons Nicolas et il réussit là un excellent teaser) !
« N’ai-je pas laissé à mon intelligence le temps de se laisser surprendre par telle ou telle interprétation trompeuse, émanant de mon désir et image donc de la réalité telle que je préfère qu’elle soit, non de la réalité elle-même ? »
Clément Rosset – Le réel et son double
Je reprends ici une citation introduisant l’une des « nouvelles morales provisoires » de Raphaël Enthoven (que chacun pourrait avoir lu – note de l’auteur : mon post Linkedin pour vous proposer ce livre a été un fiasco !…). Elle est incroyable de justesse, dans le contexte de cette conversation sur l’authenticité. Se déclarer authentique est une supercherie ! Il n’appartient qu’aux autres de nous trouver « authentique », ou pas. Nous pourrions être sincère. Dans ce livre essentiel, Enthoven revient plusieurs fois, en s’appuyant sur l’actualité de notre monde (et l’on se rend compte de l’instabilité émotionnelle permanente dans laquelle vivent nos dirigeants – au point de se demander s’ils sont sains d’esprit), sur la question sans réponse de la vérité. Il n’existe de vérité que provisoire. Pire encore, cette vérité est très relative et ne revêt d’intérêt que s’il elle vient à être confirmer par des travaux scientifiques (et encore). Elle n’est en aucun cas dans mes propos ici, ni dans ceux de quiconque sur Linkedin ou ailleurs.

Une marque ne peut et ne doit pas chercher l’authenticité dans ses prises de parole. Ce serait absurde. Ce serait prétendre qu’elle détient une vérité et que, nous, ses clients, devrions l’accepter et la recevoir comme telle. Une marque doit avoir des convictions et s’engager fermement à les défendre, y compris quand certains la jugent peu crédible. Lorsque Evian, par exemple, montre des couples homosexuels sur ses bouteilles ou campagnes, est-elle sincère ? Oui ! Point d’exclamation ! Est-elle authentique ? Non, sauf à nous démonter alors que cette représentation signifierait que l’entreprise favorise ou reconnait cette diversité dans ses rangs, et l’on voit alors qu’un simple décompte pourrait remettre en cause l’affirmation.
Etre sincère est provisoire. Là encore, je change d’avis, d’intérêt, de vision du monde, à chaque évolution de moi, de ma perception de ce moi, et des rencontres ou événements extérieurs m’ouvrant les yeux, m’apprenant quelque chose, et modifiant ainsi mes vérités, voire mes convictions.
Une marque doit inspirer. Elle doit nous apprendre à vivre mieux, et si possible ensemble, dans une société de connaissances et d’amour de l’humain. Une marque doit aimer ses clients, et ceci a priori, donc aussi lorsqu’ils ne le sont pas encore. Est-ce qu’elle doit le dire ? Oui ! Point d’exclamation ! Est-elle authentique en le disant ? Non, car nous serions tout à fait capable de trouver un ou mille exemples qui démontreraient qu’elle ne l’est pas toujours, pas pour tous, hélas. Il y aura toujours des clients insatisfaits, maltraités (en tout cas, de leur point de vue) et qui n’accepteront pas la vérité de la marque comme étant la leur.
La sincérité est une intention. Elle est mise à l’épreuve des actions. Le marketing est dans l’action. Etre sincère en marketing est tout à fait possible. C’est respecter dans chaque action, les convictions de la marque, son why, ses valeurs, ses combats. A ces conditions, on pourrait aimer la marque et peut-être aussi lui être fidèle, sincèrement.

Aimer une marque, tout comme aimer une belle personne, exige de la sincérité, des deux parties. Cet amour est-il authentique ? Voir avec les yeux de l’amour, ce n’est pas voir la vérité, c’est la construire en conformité avec nos propres convictions, préférences, et valeurs. On retrouve dans ce débat sur l’authenticité sur les réseaux sociaux alors la confusion entre le beau et le bon.
Nous pourrions être sincèrement bons, pour les autres, pour nos clients. Pourrions -nous être authentiquement beaux ?
Quelle que soit ta réponse, cher.e lectrice.teur, je te sais sincère. N’aies crainte, je te croirais dans tes réactions, fussent-elles émotionnelles avant tout. Imagine un instant que je te déclare ici mon amour authentique ! Ah !? Mais que viendrait faire cet adjectif prétentieux dans ce poème (qui n’en est pas un) ? Avoues que tu serais surpris.e et probablement sur tes gardes comme jamais.
Non cher Sylvain, il n’est d’aucune utilité de réclamer ni de proclamer de l’authenticité dans nos prises de parole. Encore moins en marketing, discipline qui consiste pour les marques à être désirées, aimées puis préférées. Aucun désir, aucun amour, aucune préférence n’est authentique. Ils sont en revanche tous sincères.
PS : évidemment nos émotions sont authentiques, tant que notre intelligence n’a pas encore eu le temps de les interpréter, de les remettre dans un contexte, de les analyser comme résultantes d’une expérience, d’une interaction avec l’extérieur, qui par ailleurs, n’est également qu’une interprétation de la réalité. Nous sommes authentiquement émus par l’autre (et parfois par nous-mêmes), ce qui nous éloigne de la réalité. Chaque interaction avec la réalité, la modifie. Nous vivons dans un monde quantique, sans aucune possibilité d’en saisir toutes les vérités…