J’aime bien ces moments d’échange avec des étudiants qui souhaitent aborder le marketing émotionnel dans leur mémoire, ou leurs travaux de fin de parcours. Souvent, leurs question sont témoins d’une certaine fraîcheur et, c’est bien normal, d’un manque de culture au sens de l’historique et de l’évolution de ce métier. Et c’est une vraie qualité ! C’est un regard neuf qui se pose et qui nous oblige, tous, nous les pros du marketing, à prendre un peu de recul et à rester humble. Bref, remise en question sous la question !
Alors quand Coralie me demande si le marketing émotionnel n’entame pas le libre arbitre du consommateur, je réfléchis un peu avant de répondre.

A partir du moment où s’installe une relation affective, conséquence de l’émotion partagée, d’une expérience perçue comme positive, il y a un biais injecté par le marketing. Dès lors qu’on apprécie, qu’on aime ce que l’on a vécu, il devient très compliqué de rester dans l’objectivité comparative. Ce que j’aime est presque par défaut, supérieur à tout ce que l’on pourrait me proposer comme alternative. Il n’y a pas de doute que mon expérience va modifier ma perception du choix dans la futur. Alors on peut considérer que le marketing nous influence et altère notre jugement objectif, mais est-ce réellement un problème ? N’oublions pas que l’humain est en difficulté lorsqu’il doit choisir, ne serait-ce que parce qu’il n’aime pas se tromper, et que son cerveau est fainéant ou au mieux économe, donc prompt à reproduire le choix d’avant pour peu qu’il ait été jugé positif.
Notre libre arbitre existe-t-il vraiment lorsque nous sommes dans la peau du client ?
Le consommateur a pris le pouvoir. Il a aussi la connaissance la plus complète, le plus pointue sur le marché. Il est en mesure de mobiliser son entourage, ses amis, pour obtenir un avis extérieur, en principe digne de confiance. Il a accès à tout, tout de suite, en quelques clics. Il est désormais aidé par des comparateurs soit-disant malins. Alors que lui manque-t-il ?
Qu’est-ce que le libre arbitre et peut-il est perturbé par l’émotionnel ?
Peut-on dire comme Kant que « une volonté libre et une volonté soumise à des lois morales sont par conséquent une seule et même chose » ? Si oui, alors en effet, il ne serait guère moral de perturber la volonté de choisir tout seul, la liberté du futur client. Dans ce cadre là, envoyer un message quelque qu’il soit, pour promouvoir, pour séduire, est nécessairement une perturbation émotionnelle de la volonté du consommateur. Nous pourrions en conclure que le marketing est inutile, voire nuisible, puisque source de distraction, de confusion, de mauvaise interprétation d’une situation complexe.

Mais ma réponse à Coralie est toute autre.
La question se pose en termes d’intention. Car au fond, si je modifie la perception du futur client, quel est mon objectif ? Evidemment de lui vendre un produit dont éventuellement il n’a aucunement besoin, me répondra-t-on en pointant la défaillance majeure du marketer à la papa. Or si mon objectif est de créer de la valeur pour mon client, si ma mission est d’améliorer sa vie ou de le rendre meilleur (lui en tant qu’être humain), la morale est totalement différente. Je ne cherche pas à perturber le libre arbitre mais bien à créer une dissonance cognitive en faveur d’une expérience qui peut réellement apporter quelque chose au client. Il s’agit alors de motivation au changement. Il s’agit d’éclairage donné à une offre ou à une solution qui lui convient mieux. ce n’est pas forcément la meilleure réponse technique, ni surtout le produit le moins cher, c’est celui qui génère la plus intense satisfaction, un ressenti émotionnel d’une force incroyable.
Je dis alors à Coralie que lorsque Toyota a commencé dans les années 60/ 70 à prendre le temps d’appeler chacun de ses clients japonais, un par un, un ou deux ans après l’acquisition de leur voiture, pour prendre des nouvelles et s’assurer qu’ils étaient heureux de rouler avec, la marque a créé une différence pour l’éternité (ou presque), qui lui vaut aujourd’hui d’être numéro un mondial des constructeurs automobiles. Certes la confirmation que tout allait bien, et que le client était heureux a naturellement biaisé son libre arbitre, au sens où sa préférence établie lui a évité les affres d’un choix difficile lors de l’achat de sa prochaine voiture. Mais n’était-ce pas à son avantage ? N’était-ce pas pour lui proposer une meilleure expérience la fois d’après ? De la même façon, lorsque Toyota a proposé et obtenu de ses clients qu’ils collent sur la vitre arrière un message déclarant leur amour pour la marque : « I Love my Toyota », il est clair que le libre arbitre de nombreuses personnes a été touché.

C’est précisément l’un des objectifs du marketing émotionnel : perturber la décision ou plus exactement l’indécision chez le futur client. Pas pour lui vendre n’importe quoi, mais bien au contraire pour l’inciter à acheter ce qu’il aimera dès demain. Le cycle Desire – Love – Share est construit sur cette idée précise qui fait de nos émotions le meilleur moyen de séduire utilement un public. Sans création de valeur pour le client, le marketing est voué à l’échec. Il devient cynique, court-termiste, et dénué d’empathie, de sens.
C’est pour cette raison que Netflix nous aide à choisir parmi une quantité énorme de possibilités en nous indiquant ce qui est recommandé pour nous… et bien entendu, nous sommes souvent d’accord avec le choix préétabli !
Dès lors que le marketer respecte et encourage la liberté de choix du client, lui faire vivre de belles émotions devient un métier passionnant et exigeant.
Merci Coralie et bravo d’avance pour ce mémoire !
PS : « Les hommes sont conscients de leurs désirs et ignorants des causes qui les déterminent » Spinoza
Et comme on n’est jamais mieux servi que par un youtubeur, voilà la réponse philo :