Manifester son soutien à une cause mondiale lorsque survient une crise menaçant un peuple et indirectement toute l’Europe, semble une évidence. Pour autant, c’est un engagement fort qui mérite réflexion, non parce qu’il serait jugé opportuniste ou suiviste, mais parce qu’il énonce une prise de position dont on ne reviendra pas facilement.
Si je suis révolté par la guerre, je peux aisément m’exprimer. Je suis farouchement contre toute forme de guerre, d’agression, d’occupation de territoires, de terrorisme, et ce n’est pas une question de camp à choisir, c’est un principe. L’apologie de comportements guerriers m’est insupportable depuis des années. Je ne vais plus voir un film de guerre, je ne lis pas de livre relatant la guerre ou les invasions barbares, bref, je suis devenu pacifiste. Mais là n’est pas le sujet. Lorsque une marque s’engage, elle engage toute l’entreprise et ses parties prenantes à sa suite. Elle devrait s’assurer au préalable que cet engagement est partagé, accepté par la très grande majorité de ces acteurs, incluant ses clients évidemment.
Un leader de la marque peut s’engager à titre personnel sans pour autant que l’entreprise dans sa globalité soit obligée de s’aligner. Néanmoins, le leader montrant l’exemple, il peut et doit prendre la parole pour indiquer ce qu’il défend ou soutient.
Lorsque nous conseillons à une marque d’être engagée, cela signifie-il qu’elle doit le faire sur tous les terrains ? Pour être plus clair, doit-elle rejoindre un mouvement de soutien populaire, comme le font certains depuis que le propriétaire belliqueux du Kremlin a décidé d’envoyer des chars de l’autre coté de sa frontière ?
Sur l’émotion suscitée, il me semble que la réponse est oui. Si l’on y réfléchit un peu plus, on comprend que ce n’est pas si simple. Car alors, il faudra être capable de se manifester aussi si toutefois un autre conflit survenait à l’initiative d’acteurs d’un autre camp (aurions-nous banni les USA lorsqu’ils ont envahi l’Afghanistan au prétexte d’éradiquer les talibans ?… par exemple – on pourrait aussi se poser des questions sur la présence militaire française en Afrique…).

Bref !
Ce que je souhaite souligner ici, c’est la solidité dans le temps, et à l’épreuve de toutes les situations, d’un engagement. Dans un récent épisode des marques qui font du bien, les marques McDo et Crédit Agricole sont citées pour des engagements positifs (qui peuvent se discuter). En définitive, s’agit-il de postures de communication, ou de réelles volontés de changer les choses ? Seront-elles cohérentes, inattaquables sur les engagements pris ? Maintenant, mais aussi dans 10 ans, ou plus, dans d’autres circonstances et envers d’autres publics. Annoncer qu’ensemble on s’en sortira toujours, on réussira, c’est se montrer fort au soutien de ceux et celles qui veulent réussir. La fondation Feed imaginée par Antony Bourbon ne peut pas être une simple histoire sympathique à lire. Elle est là pour durer, pour porter l’espoir de milliers de jeunes qui souhaitent suivre ce modèle de réussite.
Oui je sais ce n’est pas une guerre. Et nous souhaitons tous que les russes rentrent chez eux en faisant le moins de morts et de dégâts possibles. Pour autant, s’engager au soutien de l’Ukraine est aussi un message politique, l’acceptation d’une non neutralité. Faut-il y aller ?
Ceci pose la question de jusqu’où faut-il s’engager ? Car choisir des visuels bleu et jaune, partager sur les réseaux des prises de parole soutenant la population ou son dirigeant héroïque, manifester à Paris, est une chose (sans doute la moindre des choses). Financer des armements ou le soutien logistique, et même prendre la route pour aller au front est une autre histoire. On voit bien que c’est encore loin. Sans aller jusque là, nous devrions accueillir les réfugiés à bras ouvert, et pas seulement cette fois, mais à chaque conflit de ce genre, sans aucune distinction de couleur, de langue, de religion, ou de culture. Un réfugié est un réfugié comme les autres.
D’ailleurs, je crois que nous ne devrions pas seulement nous engager lorsque nous réagissons, lorsque nous sommes contre une action qui nous semble intolérable. Je continue de croire que nos engagements devraient exprimer une vision positive du monde. Nous n’avons jamais soutenu le président ukrainien avant ces 10 derniers jours. Pourquoi ? N’avions-nous aucune sympathie particulière pour l’Ukraine ? Et si demain, la paix revient, nous aurons probablement vite fait d’oublier cette terreur, cette destruction massive d’un pays que nous ne connaissons pas.
Lorsqu’une marque s’engage, elle doit aller au bout de son engagement. Un engagement positif qui peut changer les comportements et le monde dans lequel nous vivons. Total, devenue Total Energie, vient de se discréditer en ne sortant pas de Russie (pour l’instant et contrairement à d’autres géants du pétrole et du gaz) et ne semble pas prête à appliquer le quoi qu’il en coûte… C’est dommage ! Renoncer à l’argent pour dénoncer l’inacceptable est un devoir d’humanité. Tu me diras que d’autres poursuivent leurs activités sans rien dire. Oui mais sont-ils engagés ? Ont-ils dit quelque part qu’ils voulaient le bien pour la planète ?
L’engagement n’autorise pas de retour en arrière, ou de zigzag entre des lignes changeantes au gré du vent. L’engagement ne sera effacé que par un engagement plus fort encore. Tenir ses engagements est beaucoup plus difficile et méritant. Bravo à ceux qui y parviennent !
Engageons-nous pour longtemps !
C’est plus compliqué que ça…
Prenons l’exemple de Total. Ok, le cynisme économique, c’est moralement moche.
Mais pas que…
D’une part, le réalisme montre que l’Europe, malgré la guerre désapprouvée, a besoin du gaz Russe, comme la Russie à besoin de vendre son gaz.
D’autre part, les patrons de Total ont leurs entrées dans l’oligarchie russe, et elles sont importantes diplomatiquement parlant : en conflit, pour que ça s’arrête le plus vite possible, il faut pouvoir se parler. Faire du commerce est un bon moyen pour maintenir le dialogue, trouver des intérêts communs, plutôt que de se foutre sur la gueule.
Mais le souci principal n’est pas là, il est dans la morale. La diplomatie Anglo saxonne, et la nôtre maintenant, se base sur des principes moraux. C’est pas bien d’attaquer l’Ukraine, c’est mal.
Le problème alors, comme tu le dis, c’est l’exemplarité. Si tu commences à donner des leçons de morale, alors tu as intérêt à être sacrément droit dans tes bottes.
Pourquoi les USA ont attaqué l’Irak ? Pour le bien, la démocratie, la protection du monde face aux terribles armes de destruction massives des Irakiens ? Non, bullshit. Pour le business, comme la Russie aujourd’hui.
Au final, les prises de position morales sont intenables. Personne ne peut se targuer d’une posture morale cohérente de bout en bout. Ça n’existe pas, c’est bien plus compliqué.
Plutôt que de faire la morale, tentons plus modestement de s’entendre, de faire ensemble des choses qui apportent du MIEUX, pas du BIEN.
C’est un vieil adage, et il est intéressant. Le mieux (la morale cohérente) est l’ennemi du bien.
Qu’en penses-tu ?