J’ai vendu des 4 couleurs Karine ! Oui ! Quand j’étais encore gamin dans la librairie papèterie de mon grand-père, il y avait cet objet incroyable et ingénieux qui offrait la possibilité de changer de couleur d’écriture sans changer de stylo. Une invention remarquable. Et ça se vendait plutôt bien…
Alors 53 ans après son lancement, on vend chaque année en France près de 25 millions de stylo 4 couleurs ! Un truc de dingue !
Pourquoi ? Est-ce un succès marketing ? Ou même un modèle de marketing émotionnel ?
Avant de plonger dans les histoires rocambolesques que la presse remonte de telle ou telle région de France, de nous intéresser aux retombées positives du trafic de 4 couleurs en bande organisée, je voudrais te proposer une analyse selon les 4E (Emotion, Exclusivité, Expérience et Engagement). Tu veux bien ?
Emotion parce que la vie en couleurs c’est mieux. Si tu as un jour reçu un mot, une lettre d’une jeune et jolie personne qui fait des coeurs violet, rose ou vert pour illustrer ses mots tendres et maladroits, tu vois de quoi je parle. Si tu as écrit dans ton journal en changeant de couleur selon ton humeur, selon les personnages de tes histoires du quotidien, tu comprends que l’émotion est aussi dans la couleur. Et 4 couleurs, cela offre déjà de belles possibilités. Tu ne voudras pas un 4 couleurs, mon chaton ?
Exclusivité parce que non seulement le choix de ta couleur préférée à très vite été élargi au-delà du quartette noir, bleu, rouge et vert, pour intégrer l’orange, le bleu ciel, le vert prairie ou l’inévitable rose bonbon, mais aussi parce que le contenant, ce gros tube bi-parties en plastique a adopté d’autres codes que celui de ses débuts, avec des éditions limitées qui rendent ton objet unique (ou presque). Et tu noteras aussi que tu es devenu le maitre du jeu des 4 couleurs : toi seul.e sait quelle couleur tu emploies pour écrire la suite…
Expérience, dans tous les sens. Non seulement, la prise en main de l’objet un tantinet rondouillard modifie ton écriture, mais aussi sa présence dans ta trousse d’écolier ne passe pas inaperçue. Avoir un 4 couleurs, c’est avoir une montre, ou un téléphone. C’est indispensable ! Ceux et celles qui en sont dépourvus sont des losers dans la cour d’école. Veux-tu que je te serve un Nespresso ? What Else !
Engagement et sur ce point, tu le sens bien, le mystère est total. Comment peut-on encore utiliser autant ce stylo BIC à l’heure où nos doigts sont constamment happés par des claviers ou des écrans tactiles ? Conserver cette capacité à écrire à la main, est un réel engagement. Cela témoigne de notre supériorité animale sur les machines. C’est aussi le lien entre le glissement de la pointe sur le papier et notre cerveau. Je te dis ça alors que je tapote sur mon ordi ce texte que nous appelons un 4 mains. Est-ce bien raisonnable ? bref…
Mais tu peux acheter des 4 couleurs engagés comme ce coffret pour soutenir une association qui valorise l’action des femmes par exemple… Ou te souvenir que ce stylo est Made in France.
« Aujourd’hui on a une cinquantaine de modèles qui sortent chaque année, des éditions spéciales, des couleurs différentes, des éditions solidaires ou des éditions spéciales la Saint-Valentin » précisait Astrid Canevert, directrice Europe de la communication de Bic.
Voilà pour la partie théorique qui t’explique le succès de toute marque, de tout produit aimé par les consommateurs, les clients. 4E sinon rien.
Mais le cas du 4 couleurs nous entraîne un peu plus loin. La marque « 4 couleurs » n’existe que dans le vocabulaire, l’esprit d’une communauté sans cesse renouvelée. Une tribu vivante depuis plus de 50 ans qui réunit ses millions de membres sans qu’aucune action de communication ne soit nécessaire. Ils sont partout ! Dans les cours de récré comme dans les bureaux encore occupés. Ils sont entrés dans nos maisons, nos chambres, nos espaces de coworking, sans que personne ne s’en offusque. Ils sont chez eux, chez nous.
La tribu des « 4 couleurs » vit sans souci. Elle se reconnait. Elle s’éparpille et s’égaille joyeusement couvrant des feuilles de papier qui s’entassent ici ou là comme autant de traces émotionnelles de nos vies. Si tu cherches un peu, tu en trouveras dans un tiroir, au fond d’une malle ou de ton vieux cartable de lycée. Mettre de la couleur sur nos mots est tellement beau. Simple à comprendre. Des émotions bien avant les emojis.
Alors oui Karine, le temps des écrans aurait pu effacer les couleurs de nos stylos. Mais nous ne voulons pas. Les enfants qui s’inventent des challenges à celui ou celle qui en volera le plus à ses camarades de classe en sont la preuve. Il y a les mots et il y a de la couleur en nous. Sans couleur, nous serions comme la vie sans les saisons : monotone.
Certaines écoles, collèges ou lycées ont interdit l’usage du 4 couleurs pour limiter ces excès de zèle de membres un peu trop actifs de la tribu. Est-ce un risque pour la marque ? Au contraire ! Cette prohibition renforce encore le pouvoir fédérateur d’un objet symbolique auprès de celles et ceux qui sont fiers d’en avoir un ou toute une collection.
Un jour, si tu le souhaites, nous échangerons nos 4 couleurs !
D’ici là, écris-moi encore ! Et n’oublie pas d’ajouter des petits nuages ou un soleil mauve à tes mots… merci !