3 jours au salon du livre cette année ont été l’occasion de très belles rencontres avec les nouveaux auteurs de ma maison d’édition : Kawa. Et puis dans le retour en TGV de Lille hier, après avoir passé un nouveau très bon moment de partage avec Isabelle, Alexandre, Guillaume et Henri, je suis rempli de réflexions sur nos visions si différentes et pourtant si proches sur le marketing. Particulièrement, en discutant avec nos auteurs femme ou nos femmes auteur, je me rends compte que la question du pouvoir est essentielle.
Etre un auteur, c’est prendre la parole et ce faisant, affirmer un pouvoir : celui de communiquer sa pensée aux autres, aux lecteurs. Personnellement, je pense plutôt que si pouvoir il y a, ce serait celui de rencontrer et de partager. Certes, ce n’est pas donné à tout le monde, mais vous me répondrez (comme Don Corleone) que le pouvoir ne se donne pas, il se prend.
Et être un marketer ? Est-ce exercer un pouvoir sur les consommateurs ? A l’heure du digital, on nous explique à chaque conférence que le consommateur a pris le pouvoir sur les marques. Il est devenu un acteur, un consomm’acteur ! Alors ? Quel pouvoir reste-t-il pour le directeur ou la directrice marketing ? Ceux-là même que l’on a nourrit de termes guerriers comme la conquête, le territoire de marque, les forces et faiblesses, la part de marché et la fidélisation…
Evidemment, le pouvoir du marketing s’exerce principalement dans la définition de l’offre. Tous les efforts déployés par nos amis marketers sont essentiellement consacrés à la perfection du produit, voire du packaging et des offres qui feront son succès. C’est donc un pouvoir de décision, qu’ils évoquent pour justifier leur posture. Nous décidons et les consommateurs nous remercient de notre géniale vision de ce que sont leurs besoins. Pourtant, la co-création se développe, le marketing collaboratif, n’est plus un ‘gros mot’ et certains services marketing acceptent d’écouter, de prendre note des désirs, des idées de leurs clients (on citera par exemple Starbuck, MMA, Michel & Augustin, Marmiton, le RATP et bien d’autres). Ces marques auraient-elles perdu le pouvoir ? Ou au contraire, leur pertinence et l’adhérence de leur clientèle à leurs valeurs sortent-elles renforcées de cette délégation, de ce partage du pouvoir ?
En réalité, mes discussions me laissent penser que la notion même de pouvoir est masculine. Le pouvoir est homme ! C’est sans doute ce qui explique cette réplique de l’organisateur du Salon du Livre, s’adressant à moi, pour justifier l’achat d’un livre portant le mot émotionnel sur sa couverture : « oui je connais le marketing émotionnel, mais je le prends pour ma femme ! ». Quelle belle démonstration ! Rendre le marketing émotionnel, ce serait contester le pouvoir des chiffres et de la technologie sur l’humain. Ce serait admettre que notre intelligence émotionnelle s’active à notre profit pour créer du lien social et que le rôle d’une marque est justement de créer du lien entre ses clients et entre elle et ses clients. Ce n’est pas une question de pouvoir donné ou pris, mais bien une question de valorisation de l’autre. Donner de la valeur à l’autre (au client), ce n’est pas perdre le pouvoir !
Etre émotionnel est un état d’esprit. Un souffle spirituel qui donne vie à la relation affective, à la préférence de marque, à la fidélité, dans la vie comme face à son client. Il n’est pas question de revendiquer un quelconque pouvoir. Le consommateur, le client ne nous ont jamais demandé de prendre le pouvoir ! Le pouvoir ne les intéresse pas du tout ! Ce qu’ils souhaitent en revanche, c’est être reconnu comme individu, comme être humain, être valorisés pour ce qu’ils sont, pour leurs différences, leur culture, leurs envies parfaitement irrationnelles. Pourrions-nous le comprendre ?
Au moment où j’écris ces lignes (et, cher lecteur, je ne triche pas d’un minute), je reçois un communiqué de presse pour m’annoncer que la marque Bonobo (les jeans) va donner le pouvoir aux consommateurs (hélas de baisser les prix – car ça aussi le consommateur ne l’a jamais demandé) ! Formidable idée non ?
Extrait du CP : « Quand les consommateurs prennent le pouvoir…. Un rêve qui devient réalité avec la dernière initiative du jeanner Bonobo. Du 30 mars au 27 avril, l’enseigne lance l’opération inédite ‘Like the Look’ sur Facebook. Plus les fans likent et plus le prix baisse, jusqu’à – 30% ! »
Je visite donc la page en question et, arrivant trop tôt sans doute, j’y découvre que le 23 mars c’était les Bonobo days pendant lesquels on pouvait obtenir jusqu’à -50% sur les articles du site e-commerce !… Boulette !?… bref !
Le vrai moment où la marque perd le pouvoir, si telle est l’inquiétude majeure du responsable marketing, c’est lorsqu’elle commence à baisser ses prix et à proposer n’importe quoi pour tenter de vendre ce qu’elle voudrait à des consommateurs qui n’en veulent pas ! Nul doute qu’à cet instant, il ne s’agit ni de manipulation douce, ni de séduction, mais bien d’un abandon complet des valeurs de la marque associé à un irrespect total de l’individu client. Or si votre marque n’a plus de valeur, pourquoi devrions-nous l’acheter ?
Confondre le pouvoir donné et la valeur créée conduit les marques à la catastrophe. Le client ne veut pas le pouvoir, il achète ce qui crée de la valeur pour lui, et son entourage, sa communauté. Les valeurs créent et justifient la marque, la valeur créée justifie le choix du consommateur, donne du sens à son achat, et contribue à le rendre heureux (un état émotionnel auquel nous aspirons tous).
J’aime beaucoup votre réflexion. Etre émotionnel est bien un état d’esprit, en tant que marketeur spécialiste du sujet, trouvez-vous que cet état d’esprit reste encore trop marginal?
oui ! merci Clémence ! Oui je pense que le marketer lutte chaque minute pour démontrer qu’il est rationnel, qu’il optimise, qu’il exerce le pouvoir de la marque. Et qu’il se trompe ainsi de sujet, de mission, et d’état d’esprit ! Dommage non ?