Alors que Frédéric Serrière ouvre la conférence sur la Silver Economie 2015 avec une étude CCM Benchmark, il me vient à l’esprit que la principale différence entre les seniors sortis de l’activité d’un travail rémunéré et l’autre moitié des consommateurs français, c’est le temps ! Comment les intervenants de cette journée vont-ils en tenir compte dans les débats ?
Bien entendu les « boomers », âgés de 55 à 70 ans sont encore très actifs et plutôt connectés au digital, sans doute plus « au bureau » qu’à la maison, mais les chiffres sont ensuite très révélateurs d’une fracture numérique réelle qui correspond à tous ceux nés avant (et pendant) la 2ème guerre mondiale. Certes on comprend qu’ils ne sont ni sur Facebook ni habitués à consulter leur mails toutes les 2 minutes, bref qu’ils ne passent pas 2 heures sur leur smartphone (vu qu’ils n’en possèdent pas !). En quoi est-ce un problème pour la Silver Economie ?
C’est une question de ciblage semble nous dire Eric Sarazin. Daxon, marque initialement « senior » après « avoir tenté de rajeunir sa cible » se positionne désormais clairement sur les 65 / 75 ans, tandis que Balzamik l’autre marque de Movitex, cible les femmes de plus de 50 ans et leur vend des vêtements adaptés à leur « morphologie changeante » via un site e-commerce. Dans un article publié par Les Echos au début de l’année, on apprenait que Movitex a perdu la moitié de son CA en deux ans et que seule Balzamik, porteuse de croissance, maintient l’activité de l’ex filiale de Kering (PPR). Daxon, est encore une marque de VAD pour 80% de son business, se voulant simple et rassurante, et privilégiant le contact humain via un call center. Pour autant, la marque Daxon vient de lancer une série de vidéo pour donner des conseils mode à ses clientes (on se demande pourquoi les mannequins ont plutôt 25 ans que 65 mais être jeune dans sa tête ça doit être ça…).
Elle est sympa Elisa. Elle a fait 423 vues en 15 jours !… et 29 abonnés à la chaine Youtube !…
Et chez Balzamik ? En réalité, les clientes sont beaucoup plus jeunes que prévu ! On a lancé la marque via des campagnes de publicité sur la TV mais aussi sur internet. « Aujourd’hui on a près d’un million d’adresses emails en base, ce qui nous permet d’être très actifs en marketing direct et de générer un trafic important (50 à 100 000 visites / jour) pour un panier moyen de 80 euros par commande« . Outre qu’il me parait curieux d’avoir ciblé des seniors via la télévision pour au final vendre sur internet, je me demande comment on a pu générer une telle base de contacts… La réponse est sur le site et s’ouvre dans un joli pop-up (interdit par mon navigateur) ! En les achetant 10 euros !… C’est ça la Silver Economie ?…
Quelle géniale inspiration chez nos marketers !.. Alors qui est la cible de ces messages ? C’est papi qui serait content d’échanger mamie pour ces charmantes jeunes femmes, non ?… D’un coté, 10 euros pour obtenir une adresse email, très probablement poubelle, et de l’autre 10 euros + la livraison gratuite pour une commande minimum de 49 euros sur le site ! Si je poursuis ma visite sur le site Daxon, je découvre une autre offre promotionnelle qui me promet cette fois, moins 30% + la livraison gratuite pour 69 euros d’achat !… Je ne sais pas si ma mère y comprendrait quoi que ce soit…
Mais retour chez Balzamik pour y découvrir mieux encore : la boutique éphémère annoncée par la hashtag #PopupBalzamik (langage naturel des plus de 50 comme chacun sait) et qui donne un rendez-vous pour l’Apéro Morpho au Bercy Village !… Et pourquoi pas une soirée Deep House au Showcase ou une after au Social Club ? Tout à coup, il m’apparait que les seniors ont bien changé ! Le digital les aurait-il rajeunis ?…
Le temps passe (et les anges du digital aussi) et heureusement, Bernard Bastide de Legrand, qui a investi dans un partenariat industriel dans la start-up Irlynx, nous ramène à la raison : « développer de nouveaux produits, incorporer la technologie digitale dans des offres, exige malgré tout de se demander à qui l’on pourrait bien les vendre, et surtout qui en aurait réellement besoin« . Merci Bernard ! Alors faut-il vraiment mettre au point un détecteur d’activité connecté qui permettra probablement de signaler la chute d’un grand senior vivant seul (ce qui peut lui sauver la vie) mais qui signifie aussi une surveillance de chaque instant de sa vie et une intrusion discutable dans son intimité ? Difficile à croire tout de même ! Rester allongé 2 heures en pleine journée pour profiter d’une sieste, devrait-il autoriser qui que ce soit à appeler les secours (y compris la famille) ?
Les seniors sont comme tous les consommateurs : ils souhaitent qu’on les respecte et qu’on les comprenne ! En revanche les seniors jouissent d’un luxe infini au contraire des actifs de moins de 55 ans : le temps ! Il me semble que cette dimension a été totalement oubliée des débats et que vouloir traiter la relation avec cette clientèle sans se rendre compte qu’elle a du temps, qu’elle aime prendre son temps et qu’elle n’est pas soumise à la course à l’innovation, constitue une erreur stratégique majeure. A nouveau, ils ne sont pas différents des autres catégories dans leur quête de liberté individuelle. Mais jouer sur la peur ou la sécurité, ne risque pas leur donner confiance dans les marques qui leur courent après. Marie Treppoz, fondatrice et CEO de Welp, une plateforme de mise en relation entre bénévoles qui souhaiteraient aider et personnes, associations ou autres qui auraient besoin d’aide volontaire, le révèle clairement : « on a eu beaucoup plus de personnes qui proposent leur aide que de personnes âgées qui en demandaient ! » Surprise !?
Welp est un belle idée généreuse qui ne rencontre pas sa cible, là non plus. En tout cas pas celle des seniors, et pour cause. Demander de l’aide est la dernière chose que nous acceptons de faire. Penser qu’un senior ou un grand senior le fera spontanément, qui plus est, sur une plateforme internet, est d’une folle audace, chère Marie. Une démonstration supplémentaire qu’avant de se lancer sur un marché, il faudrait se poser la question du pourquoi ? Non pas pourquoi y aller (quoique pour certains se seraient déjà une bonne chose) mais d’abord pourquoi un client (ou une mamie) ferait-il appel à notre service, achèterait-il notre produit ? Pourquoi faire, pour quel usage et quel bénéfice dans sa vie ?
N’importe quel grand senior vous l’aurait dit : « il ou elle n’a pas besoin d’aide ! »… et d’ailleurs, nous non plus ! Aider les autres est une mission sociale et non un besoin. C’est dommage parce que cette générosité est à l’ordre du jour de notre société individualiste et matérialiste en pleine révolution, et je suis convaincu qu’il y a de vrais services à proposer aux seniors (aussi). Et oui, un grand senior peut parfaitement parler à un robot (Nao de Aldebaran) pour lui confier qu’il ne veut pas prendre ses médicaments (comme nous le confirma Fabrice Goffin, fondateur de Zora Robotics)…
« Nous sommes tous des seniors en puissance », me dit en conclusion, Jérôme Pigniez, fondateur du site Silvereco.fr ! Ah ! Tu crois ??… On verra quand on aura le temps !
#papiwasarollingstone