Je vous le redis une fois encore, je suis toujours bluffé par les time keepers ! Cette capacité qu’ils ont à mettre une pression positive sur les interventions des participants d’un atelier ou des speakers d’une conférence, est impressionnante. Garder un oeil sur l’horloge, le temps qui défile et qui lorsqu’il aura filer dans le trou du sablier ne vous accordera pas une seconde de plus. Est-ce possible lorsqu’on exprime sa passion ? Est-ce simplement compréhensible par notre cerveau émotionnel à qui l’on intime l’ordre de trouver quelque chose de neuf, à dire, à faire, à écrire, à peindre, à photographier là où tout a déjà été cadré, dans tous les sens et sous tous les angles ? Tiens, d’ailleurs, les cadres, les nombres de caractères, de mots, de hashtag qu’il faudrait inclure dans ce texte ou dans vos posts pour qu’ils soient considérés, vus, lus, et répertoriés par Google, ne sont-ils pas d’autres contraintes inventées par les humains ?
Je me fiche des contraintes ! Comme je l’ai lu quelque part, je suis un rebelle ! Et pourtant, je vis dans les contraintes comme tout le monde. J’ai parcouru avec délectation le joli catalogue de rentrée du Bon Marché mettant en avant le courant Punk ! Aussitôt, je me suis fait la réflexion que j’aurais dû inventer le Punk Marketing ! Est-ce que cela existe ? La réponse est oui ! Deux américains ont sorti un bouquin sur cette idée en… 2007 (Get off your ass and join the revolution ») ! Merde, je suis en retard, comme le lapin d’Alice… Et puis, le toujours très tendance Influencia, nous disait déjà en février cette année, qu’il faudrait mettre un peu de punk dans le marketing pour mieux toucher les jeunes ! #ahahah. Pourquoi les jeunes ? Que je sache, Patti Smith ou les Sex Pistols ne sont pas nés hier !… Plonger dans « Horses » quelque 44 plus tard, est un délice !… (je découvre en écrivant cela que Patti était il y. a 3 jours sur la scène de l’Olympia… curieuse rencontre inattendue)…
Mais sortir des contraintes, penser en dehors de ce qui est généralement permis et socialement attendu, est un réel objectif lorsqu’on anime un atelier, non ? Alors comment diable peut-on conjuguer la contrainte du temps et la créative attitude ? Lorsque vous entrerez dans la réunion, lorsque vous aurez prévu qu’elle durera 45, 60 ou 90 minutes, lorsque vous distribuerez la parole à chacun dans le respect partiel d’une équité discutable, aurez-vous optimisé l’énergie créatrice ?
« Vous avez trois minutes pour écrire sur trois post-it les mots clés que vous pensez illustrer au mieux pourquoi un contenu serait partagé sur les réseaux sociaux par vos collaborateurs » ? Wahou ! C’est chaud ! et puis, surtout, nous sommes 15 dans la salle et je me demande immédiatement ce que je pourrais trouver à dire qui ne soit pas… exactement ce que les autres auront écrit avant moi !… Comme lorsque je suis le dernier à parler sur une table ronde et que les intervenants précédents semblent avoir couvert totalement la question posée. Non mais attendez une minute ! « Oui mais pas plus me rétorque l’animateur en agitant son chrono !« … Cauchemar dans mon cerveau ! Agitation neuronale ! Où vais-je trouver la force intellectuelle de proposer un concept, un mot, dans les 120 secondes restantes… tic tac tic tac…
Heureusement je suis entrainé et je ressens de l’excitation à devoir surmonter la contrainte et non pas du stress. Si mon cerveau est stressé, il se ferme, il ne voit plus au)-delà de mon nez, et forcément, il m’enverra comme réponse celle que mon voisin aura déjà griffonnée sur son petit carré vert fluo ! Moche ! Copie, singerie sociale, imitation, qui me fera dire honteusement en public : »bah en fait, je dirais comme Aurélie, que si le visuel est bien choisi, ça marche mieux ! »… La loose ! Tu peux rire 30 secondes (et pas plus) cher.e lecteur.trice, car tu aurais alors assisté à un naufrage créatif en direct ! et voir sombrer l’un des participants de cet atelier, c’est au minimum rigolo, et parfois réconfortant pour ton égo mis à mal par la perspective d’être démasqué par la collectivité déçue de ta faible intelligence…
Mais revenons à l’essentiel : sans contrainte, peut-on forcer la créativité ?
Toute forme d’expression artistique subit la double contrainte du passé (existant, historique), et du regard contemporain de la société. Toute forme de créativité réduite à un environnement de business (une invention, un concept produit ou marketing) subit en supplément de sa cousine artistique, la contrainte du succès, de l’approbation, de l’adoption par un nombre suffisamment grand de personnes ou d’organisations. Et là, la contrainte devient économique et sociale. Au sens où il n’est pas rare (et c’est même le contraire) de voir exposer des tas d’idées qui ne « servent à rien » ! Tiens, je repense à cette jeune femme qui travaille pour une société russe dans le domaine de la cyber sécurité et à qui les ingénieurs ont fièrement annoncé la mise au point d’une solution pour le vote électronique qu’elle devrait présenter sur le marché français… Ben non les gars ! Super produit à l’évidence, mais pas ici et pas maintenant !…
Que dire alors de la contrainte duale qui parcoure notre esprit lorsque viens notre tour de formuler une idée devant un public, un groupe, nos confrères ou nos interlocuteurs clients ? Faut-il leur proposer la plus folle, la plus originale des idées, afin de briller, d’être au moins pendant quelques secondes remarquable, voire amusant, ou bien se limiter à exposer un concept utile, applicable et gratifiant pour eux, d’abord ?… Dilemme ! Prochainement convié à un « mastermind » (réunion de soi-disants experts autour d’une sujet pour trouver de nouvelles solutions), je me demande à l’avance quelle sera la tendance ? Les participants seront-ils venus pour se montrer « géniaux » ou pour plus modestement faire avancer les autres, et le projet par la même occasion ?… Suspense !
Au moment d’être créatif, au moment d’éviter de répéter ce que tout le monde sait, ou a déjà vu et entendu, posons-nous cette question : à quoi cela sert ? Evidemment l’utilitarisme peut sembler contre-indiqué lorsqu’il s’agit de sortir du cadre. Mais la créativité n’a de sens que si elle peut s’appliquer et être acceptée, comprise par les autres. Apprendre est un moteur essentiel de l’humain. Apprendre c’est accueillir, comprendre, et assimiler une notion nouvelle, une idée originale. Etre créatif, ce serait donc tenter de communiquer une nouveauté à autrui afin de l’enrichir.
Ne serait-ce pas là une nouvelle vision sociale de l’innovation ? Ou encore, l’impératif de tout intervenant dans une réunion de groupe ?
C’est précisément à ce moment là que je redeviens rebelle et que j’ai envie de vous dire : n’importe quoi ! Parce que je dis autre chose, toujours, avec une constance qui peut vous paraitre contrainte mais qui ne l’est pas, en définitive.
Merci à vous de m’inspirer !