Il était ce matin sur la table ronde animée par Alexandre Jubien (dont nous reparlerons bientôt dans une autre interview) qui nous annonçait l’écologie comme berceau de l’innovation. Question ou prévision de ce que notre société sera demain ? Gilles Baucher est le directeur national du réseau Biocoop et son engagement est réel, comme notre conversation me l’a confirmé. Si vous n’êtes pas passé au bio, si vous n’êtes pas encore un client des près de 800 points de vente de cette enseigne tout juste âgée de 30 ans, préparez-vous, c’est pour demain !
Patrice : « Vous avez parlé de Biocoop comme d’un acteur alternatif et engagé sur le bio depuis maintenant 30 ans, comment est-ce qu’on peut représenter l’innovation 30 ans après ? »
Gilles Baucher : « Déjà parce que nous sommes un groupement économique né du terrain, imaginé par des agriculteurs, qui ont eu cet engagement fort dès le départ. A l’origine de leur mouvement, on est sur un combat, une proposition alternative à la société de consommation à outrance des années 80. Aujourd’hui encore, les magasins sont indépendants, sont souvent des Scop, bâties sur le modèle collaboratif, où les salaires sont sur une échelle de 1 à 5, où tout le monde est près à se mobiliser. Alors si c’était une alternative au début, c’est sans doute encore une vision innovante aujourd’hui. Et puis surtout, cela va au-delà de l’idée du bio. Nous avons mis en oeuvre un modèle basé sur la coopération et non plus sur la compétition. Certes c’est important que les consommateurs prennent conscience que le bio est bon pour eux comme pour la planète mais c’est aussi un changement de société que nous leur proposons. Ça passe par plus de légumes et moins de viande, mais pas uniquement. Nous choisissons un mode de production plus responsable, une obligation de réduire notre impact à tous niveaux, de l’emballage au transport sans oublier le respect du monde associatif. »
Patrice : « On sent bien qu’il y a du mouvement chez les citoyens, comment faites-vous pour travailler pour eux, et avec eux ? »
Gilles Baucher : « Le modèle coopératif est idéal pour la poursuite de cet objectif. Le client est partout chez nous. En réalité, il détient une partie des magasins, outre que tous nos salariés sont impliqués et une grande partie sont sociétaires. Et notre patron, un jeune de 37 ans est lui aussi issu de la communauté. Il. y chez Biocoop cette volonté d’asseoir à nos tables les clients et de les écouter sur tous les sujets qui les concernent, que ce soit sur l’offre produit ou sur les magasins. Ils sont avec nous et ils discutent de tous nos projets. L’autre point est que nous les rejoignons sur certains combats de société. Les magasins sont tous indépendants et sont activistes lorsqu’il s’agit de changer de société. Par exemple, sur Notre-Dame des Landes, ou sur les pesticides. A ce propos, nous avions alerté les autorités publiques bien avant le scandale révélé par Elise Lucet dans Cash Investigation, il y deux ou trois ans. »
Patrice : « Est-ce que cet engagement, cette volonté d’avoir un impact, crée de la valeur pour vos clients ? »
Gilles Baucher : « Oui, clairement. Nous touchons des gens partout en France et bien au-delà d’un phénomène bobo parisien. Si nous n’ouvrons pas le dimanche, c’est par que nous croyons au loisir, au temps que l’on doit prendre pour mieux vivre. Le temps c’est respecter les 90 jours pour élever un poulet, les 5 ans pour voir grandir un pommier, le temps c’est celui de la nature. La valeur du bio réside dans l’alignement entre l’humain et la nature qui l’entoure. Nous redonnons du sens à la consommation, en la rendant plus responsable. Ma mission en tant que directeur du réseau, est principalement de veiller à la cohérence de l’ensemble, qu’il s’agisse de l’expression de la marque ou des engagements pris par un magasin. Nos responsables de magasin, nos salariés, nos agriculteurs, sont très engagés dans le milieu associatif. Ils veulent faire changer le monde, et nous devons à la fois les encourager mais aussi veiller à ne pas déraper. Lorsque nous sortons les bouteilles d’eau en plastique de nos magasins, c’est à leur demande. A un moment, ils nous disent : le plastique ne peut pas être vendu chez nous, il nous faut des bouteilles en verre et consignées (si possible). C’est de la cohérence ! les clients nous suivent pour cette valeur là aussi. »
Patrice : « Et pour demain ? Quels sont les perspectives à l’heure où certains concurrents commencent à se réveiller ? »
Gilles Baucher : »Avant tout, c’est une bonne chose si nos concurrents se réveillent ! La concurrence montre qu’il y a un vrai marché et que le mouvement est en marche. Je souhaite et je crois fermement que ce mouvement est profond et qu’il sera durable. Pour notre part, nous restons des militants, nous voulons toujours aller plus loin, et proposer une alternative au monde de la compétition. Même si le bio est devenu un peu plus « tendance », nous refusons d’ouvrir un magasin pour des gens qui flairent la bonne affaire et qui ne sont pas réellement engagées. Il ne s’agit pas de surveiller leur mode de vie, mais de prendre quelques garanties sur leur activisme et leurs comportements. Nous veillons à cela partout et nous utilisons les retours clients pour contrôler la cohérence de notre réseau. Avec les réseaux sociaux et parce que le business attire certains margoulins, nous ne sommes pas à l’abri d’un scandale sur le bio. Alors nous sommes vigilants et prudents dans nos choix et notre développement commercial. Nous sommes construits sur des convictions fortes et nous ne voulons pas nous « embourgeoiser » ! Nous n’en avons pas le droit ! »
Patrice : »Merci Gilles pour cette conversation passionnante. En vous écoutant, on passerait volontiers au bio ! »
Gilles Baucher : »Merci Patrice ! Je vais prendre mon tgv car chez Biocoop on ne prend pas l’avion ! »
Normal non ?… Allons-nous changer notre consommation ? #oupas