En arrivant sur l’événement consacré à la vois, ce « nouveau » moyen de communication redécouvert par les truculents marketers du 21ème siècle, je me précipite dans une salle plutôt remplie. Sur la scène se produisent deux représentant d’une start-up déjà bien connue du milieu pour ses solutions d’analyse des appels téléphoniques en temps réel, la joliment nommée Allo-Media. J’ai découvert leurs talentueux fondateurs dans un événement qui nous a emmené à la montagne pour le plaisir plus que pour le business, mais c’était il y a quatre ans déjà. Aujourd’hui Allo-Media, investit une autre dimension de l’analyse qui me concerne encore plus : l’émotionnel.
En effet, l’annonce est belle : en analysant la conversation téléphonique d’un client, on va pouvoir calculer son Individual Effort Score ! Isabelle Loiseau, la nouvelle directrice de production, ancienne responsable d’un service client, précise que trois niveaux d’effort seront ainsi distingués, permettant de détecter les clients « à risque », c-a-d, ceux qui sont dans un tel état de stress ou de mécontentement qu’ils vont quitter la marque, rompre leur contrat, devenir des détracteurs, bref, signifier leur dés amour définitif. Et là, bien sûr, la salle retient son souffle. Aurait-on découvert la formule magique anti-churn ?
Oui je te comprends cher lectrice.teur, toi aussi tu te demandes s’il est bien raisonnable de consacrer autant de moyens technologiques pour déceler chez un client un niveau d’énervement ou d’insatisfaction qui indiquerait qu’il n’en peut plus. Un peu d’empathie et d’écoute intelligente devraient suffire non ? Alors je questionne Isabelle, peu après la fin de cette présentation séduisante, et je pousse un peu plus loin le bouchon. Pourquoi trois niveaux ? Que fait-on des niveaux moyens ? Ou se situe la limite et qui la détermine, entre un client déçu qui exprime son sentiment, et un client fâché qui tente d’obtenir une compensation ? « L’outil est encore au stade de l’expérimentation« , me répond-elle, « mais les marques ont un réel problème de détection des clients prêts à partir, et ne réponde souvent que bine trop tard. Il s’agit avant tout de leur fournir un moyen de traiter les cas difficiles immédiatement. »
Je comprends l’urgence, étant moi aussi confronté parfois à des situations ubuesques, en appelant un service client. Pour toi aussi, je me doute que les anecdotes sont nombreuses et que tu les livres à qui veut te lire sur les réseaux sociaux. Mais au-delà de la protestation n’y a-t-il pas un enjeu de fidélité ? Doit-on seulement répondre aux clients qui sont mécontents ? Pourquoi ce score d’effort serait il seulement neutre ou négatif ? La question surprend Isabelle et elle surprendra aussi Romain et ses associés. Curieuse culture du client que nous affichons dans notre beau pays, puisque rien n’est prévu (du moins pas encore) pour ceux qui appelleraient pour dire qu’ils apprécient, qu’ils sont contents, qu’ils aiment le service ou les produits qu’ils ont achetés (ce pourquoi la marque devrait les remercier – ce qu’elle ne fait évidemment que trop rarement) !
Oui, nous en sommes encore là. La réponse est chaque fois la même : « mais vous savez, il n’y a vraiment que très très peu de personnes pour nous appeler et nous dire bravo »… Foutaises ! Si les clients n’appellent pas pour dire merci et bravo, c’est précisément parce que lorsqu’ils le font, personne n’en tient compte ni le leur répond. Ce n’est pas prévu par les scénarios du service client ; pour preuve, ce n’est même pas imaginé dans le nouvel outil de AlloMedia (pas encore me dit-on finalement). Alors, je vous le dis chers amis, inventeurs de score et de notation appuyés sur les états émotionnels des clients, pensez bien que le client est le plus souvent heureux et qu’il aimerait le dire, l’écrire, le proclamer. Il n’y a que vous, avec votre biais cognitif augmenté par les effets pervers des réseaux sociaux, pour penser encore qu’il préfère se plaindre plutôt que d’être remercier. Si vous lui faisiez un cadeau chaque fois qu’il vous dit qu’il est heureux d’être votre client, vous recevriez davantage d’appels sympathiques à entendre et sans doute à analyser.
D’ici là, continuez donc à répondre aux gens qui râlent et qui sont désagréables, mais s’il vous plait, arrêtez de nous dire que vous aimez ça !…
Je suis certain que le IES futur sera orienté plus positivement et que les Butagaz, Allianz, et autres gros clients d’AlloMedia en seront enchantés !
#lovefirst