Difficile de le croire mais nous avons passé la matinée à converser, non sans passion, autour de ce sujet inépuisable et particulièrement social qu’est l’art de la conversation. Délectation sublimée par la présence de mon ami belge et néanmoins tennisman théâtral, le barbu grisonnant et souriant Philippe.
C’était la première édition de notre masterclass commune, tenue en comité réduit (je te vois sourire cher lectrice.teur, en pensant que je viens de contourner de justesse l’écueil du mot petit ! Tu as bien raison, car qualifier notre auditoire de petit aurait été maladroit autant qu’inexact), et nous avions tant de choses à nous dire… Philippe a commencé par une brillante démonstration de l’importance du rythme et du mouvement (du déplacement sur une scène comme du changement de cadre, de style ou de format pour un texte déclamé ou écrit). Nous avons échangé nos histoires de premières fois en vidéo, en conférencier, ou en auteur, et certaines astuces, certaines techniques (si toutefois le mot est utilisable dans ce contexte) ont allumé quelques étincelles d’optimismes dans les yeux des participants. La passion l’anime lorsqu’il évoque les liens entre le monde du tennis et celui du management commercial, et cela suffit à captiver mais aussi à dynamiser les cerveaux alentours pour créer un échange long et sans vainqueur. Car après tout, c’est le premier enseignement de cette matinée : la conversation n’exige aucunement que l’une ou l’autre des parties gagne ! La conversation est d’abord et avant tout, un échange d’informations entre deux ou plusieurs partenaires. La conversation est donc éminemment sociale. Chacun s’en nourrit et tout le monde y gagne.
Pour autant, il apparait assez vite que l’on ne pourrait pas dire ou écrire n’importe quoi, surtout lorsque l’on s’exprime dans un cadre professionnel, dans un milieu codé et régi par le corporate ou la charte éthique dictée par un dirigeant ou son comex. Ah bon ?
En rentrant à pied, en métro, en RER au milieu de visages harassés et rendus peu bavards par une semaine de galères dans les transports, j’ai eu le temps de réfléchir à nos échanges matinaux. L’art de la conversation est bien français. La langue française s’y prête (Voltaire le disait à qui voulait l’entendre), mais c’est surtout notre culture, l’histoire de notre société qui en détiennent les fondamentaux. La conversation est devenu un art « à la française » dès Richelieu (ou plus exactement dès après sa mort) dans ce que l’on appelle la cour du roi, puis dans les salons des nobles alanguis dans leurs châteaux, oisifs par nature puis bientôt par passion. La qualité de la conversation est alors devenue un élément essentiel pour définir une personne, et sans une « bonne conversation », vous étiez rapidement relégués dans la liste des invités à éviter. Alors ce talent de conversation est devenu un art, avec ses propres codes. Il est important pour vous qui n’étiez pas là ce matin, de noter que la capacité à parler de tous les sujets, y compris d’autre chose que de vos produits, de votre job ou de votre entreprise, était déjà considérée comme un réel avantage social. Plus tard, le révolutionnaire est devenu un orateur, et la puissance de ses mots, son tranchant, son engagement (déjà) lui ont valu à la fois de prendre la parole à la tribune de l’assemblée, puis d’être décapité par ceux-là même qui l’avaient applaudi plus tôt. La conversation est alors devenue bourgeoise, comme à peu près tout ce qui touche à l’art.
« Les lois de la conversation sont en général de ne s’y appesantir sur aucun objet, mais de passer légèrement, sans effort & sans affectation, d’un sujet à un autre ; de savoir y parler de choses frivoles comme de choses sérieuses ; de se souvenir que la conversation est un délassement, et qu’elle n’est ni un assaut de salle d’armes, ni un jeu d’échecs ; de savoir y être négligé, plus que négligé même, s’il le faut : en un mot de laisser, pour ainsi dire, aller son esprit en liberté, & comme il veut ou comme il peut ». d’Alembert et Diderot, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers
Mais revenons en arrière et plongeons dans l’histoire de la Rome Antique, celle qui a vu émerger les bases de notre vie en société. Où se réunissait l’élite, mais aussi les artistes, les penseurs, si ce n’est au Forum. Cette place devenue centrale dans l’émergence, dans le souvenir et dans le partage des grands moments de la civilisation romaine, est avant tout un lieu social. Des lois, des temples, des monuments à la gloire de la réussite des empereurs, des armées, mais aussi des tribuns, ont peu à peu occupé l’espace pour constituer un lieu de rassemblement, toujours visible deux millénaires plus tard. Or il me semble que le Forum (à la suite de l’Agora chez les grecs) était aussi un lieu de conversation, comme la place du village dans nos campagnes gauloises.
Le deuxième enseignement de nos discussions animées, fut l’emploi du tutoiement ou du vouvoiement. L’un pouvant être jugé intempestif quand l’autre dénote une forme de respect, teinté fortement par des considérations d’âge, de méconnaissance, ou de distance à ne pas franchir. Puis-je te tutoyer cher.e lectrice.teur, sans te connaitre vraiment ? Assurément ! Et tu le peux en retour, sache-le, je n’en prendrai pas ombrage. Nous avons cette singularité de langage de pouvoir tour à tour employer les deux formes d’interpellation d’une personne, à l’écrit comme à l’oral, mais faut-il réellement défendre ce code dans un monde ouvert ? Le débat n’a pas été clos ce matin, et ne le sera jamais. Chacun doit comprendre que l’intention prime ici, et que le ressenti émotionnel face à autre doit nous guider avant l’emploi d’un Tu ou d’un Vous, qui peut aussi bien signifier une tentative d’approche amicale qu’une posture de supériorité prétendue chez l’un ou l’autre. J’aime te tutoyer cher.e lectrice.teur car j’ai pour toi les meilleures intentions : j’espère t’apporter quelque chose, nourrir ta réflexion et, pourquoi pas, créer entre nous une conversation. Je ne me positionne pas autrement qu’en ton égal, voire je considère tes lumières comme essentielles à mon rayonnement intellectuel.
Et c’est la que nait, plein de fraîcheur, l’évidence du troisième enseignement : la liberté. Tu as toujours cette liberté de choisir un Tu ou un Vous pour me répondre, et si c’est toi qui initie le dialogue, il m’appartient de respecter ton choix et de te montrer que je suis d’accord avec celui-ci. Oui tu as pris la décision de diriger la conversation en prenant le chemin du vouvoiement, et non, je ne chercherai pas à t’embarquer dans autre chose, sauf à ce que tu me signifies ton accord d’une manière ou d’une autre. La liberté de la parole et son respect en parallèle doivent absolument régir nos échanges. Pas seulement ici, sur ce blog, mais pour tous ceux qui souhaitent créer et développer leurs conversations. Les bases mêmes de cet art sont dans cet équilibre entre liberté d’expression et envie d’un rebond, d’une contradiction ou d’un apport complémentaire au débat. Poser des questions, donner du temps à l’autre afin qu’il puisse exprimer à son tour sa connaissance (y compris quant elle est limitée ou supposée faible) sont des clés « techniques » que chacun comprend. Mais prendre la liberté de parler de tout et de n’importe quoi, pose davantage de problèmes, en particulier parce que nous avons appris à ne prendre la parole que lorsque nous aurions la bonne réponse.
Sortez du rang ! Prenez la parole et dites n’importe quoi ! C’est aussi l’art de l’improvisation qui vous permettra d’intervenir, de commenter, de répondre. à toute initiative sur un sujet ou sur un autre. Si vous ne le faites pas, on pensera que vous n’avez rien à dire. Et si vous dites une connerie, vous entendrez toujours quelqu’un vous le signaler, ce qui après tout, n’est qu’une manière de mettre en valeur votre interlocuteur. Or l’humain est ainsi fait qu’il aime montrer et démontrer son intelligence aux autres, c’est là son sens du comportement social. Si vous preniez du plaisir à faire briller l’autre dans la conversation, vous auriez gagné sa confiance pour longtemps.
Il n’est pas interdit de penser que vous auriez malgré tout le dernier mot. Prenez le temps d’écouter et lorsque votre ego vous y autorise, essayer de parler en dernier (Cf « Leaders eat last » de Simon Sinek).
Le Cluetrain manifesto de 1999 mon cher Patrice !
Visionnaire avec cette phrase : Avec le développement d’Internet et des hyperconnections, » les marchés sont des conversations ».
Et de croiser cela aux pensées de Sinek sur les golden cercles, il n’y a qu’un pas.
Why ?
Because ?
La Vente c’est la Vie, la Vie est Émotions.
La Vente est inconditionnellement émotionnelle.
Rien de mieux que partager des émotions autour de conversations.
What else ?
C’est une référence essentielle cher Nicolas … déjà cité de nombreuses fois ici et dans mon livre tout savoir sur le marketing émotionnel ! 😃