C’est tombé ce matin sur les tables, cette année en philo il faudra savoir parler d’art. Quelle est la place des pratiques artistiques dans la transformation du monde ? ou plus officiellement : «Les pratiques artistiques transforment-elles le monde ?».
J’aurais dû interroger le plasticien Marc avant de me lancer dans cet exercice bille en tête. J’aurais mieux fait des réviser mes cours, si seulement j’avais un jour pris des notes sur la philosophie. Et puis l’art, c’est déjà tellement compliqué d’en parler. Pourtant, en marketing aussi, il y a des artistes. C’est en tout cas ma conviction depuis longtemps et je suis en cela l’avis de Seth Godin (par exemple) qui conseille à tout marketer de pratiquer sa discipline comme un artiste. C’est, selon lui, la seule manière d’avoir un impact.
Au moment où la jeunesse planche sur un sujet difficile, je suis dubitatif sur sa capacité à prendre la mesure de l’immense défi proposé aux artistes : changer le monde (en mieux). Est-ce simplement possible ? La jeunesse est déjà loin des préoccupations d’un monde qui ne l’écoute pas, peut-elle se sentir concerner par une ambition artistique ? N’est-elle pas contrainte par un système qui la met mal à l’aise et lui impose de s’intégrer dans des formats rigides et hyper normalisés ?
Je pense au contraire que rien dans le parcours scolaire ne favorise l’éclosion d’un talent artistique. Ou en tout cas pas grand chose. Alors, posons-nous ensemble la question de départ : être un artiste (du marketing), ce serait quoi ?

Un artiste selon les définitions les plus classiques est au choix, celui qui maitrise techniquement un art (et l’on tend alors à confondre l’artiste et l’artisan) ou celui qui se voue à l’expression du beau à travers un art (et l’on est davantage dans la créativité et la poésie que dans la technique). Evidement, cette dichotomie se retrouve aussi en marketing. Celui qui manie les outils avec dextérité face à celui qui prône le romantisme créatif et l’inspiration talentueuse. Duel ou deux faces d’une même personnalité ? Chacun tranchera selon sa croyance en l’inné comme socle fondateur de ce que nous sommes encore.
Mais vient alors la question de l’impact. Or changer le monde, c’est indéniablement avoir eu un impact au-delà de sa propre personne, bien au-delà de sa famille, de ses amis ou de ses quelques followers. Changer le monde, c’est une ambition. Justement ce midi Aurélien me confiait qu’il aimerait vivre dans un monde meilleur et que pour y parvenir, il lutte pour une harmonisation des relations Homme Femme. Pas seulement dans le monde professionnel, mais aussi dans la vie de tous les jours. Si l’on s’en tient à cet exemple, comment un artiste peut-il provoquer ce changement dans nos sociétés ? N’est-il pas simplement (et plus modestement) une source d’inspiration ?
L’artiste nous inspire vers le beau, l’artisan nous donne envie de faire mieux.
Ainsi si je contemple, si j’admire l’artiste, suis-je pour autant motiver pour agir ? L’action n’est-elle pas plus facile à toucher du doigt, lorsqu’elle se réalise via le savoir-faire de l’artisan ? Copier un artiste est répréhensible, tandis que l’industriel a industrialisé les gestes de l’artisan sans que personne ne trouve à y redire. C’est sans doute que si l’art est reproductible, il perd alors toute sa valeur. Je ne suis pas Picasso. Sinon je ne resterai pas là à écrire de posts de blog.
L’artiste produisant une œuvre unique, comment les autres, les humains séduits par son oeuvre, peuvent-ils s’en inspirer pour modifier quelque chose dans le monde ? Il m’apparait soudain que cette question est ^proche du hors sujet. Ce n’est pas l’œuvre, ni même l’artiste qui nous incite à la transformation. C’est le beau. Le beau, la beauté irréelle de l’oeuvre, est un bienfait pour l’humanité. Dès lors, elle nous aide à comprendre le monde qui nous entoure, à réfléchir sur nos trajectoires, nos difficultés et nos insuffisances. En effet, nous ne sommes pas le beau. Nous gesticulons quotidiennement pour nous en approcher, mais cette beauté là reste entre les mains des artistes. C’est la somme de nos actions inspirées par la plastique optimale qui nous est proposée qui peut changer le monde. En ce sens, il conviendrait de répondre par l’affirmative à la question de départ. Pour autant, respectons-nous encore la beauté ?

Le marketing ne serait-il pas le premier nommé au banc des accusés, si demain nous devions faire le procès d’une société qui confond le beau et la photo sur Instagram, l’artiste et le copywriter ?
Avons-nous, marketers, travesti le beau pour le rendre profitable ? Je crois que nous en avons toujours eu la tentation et que certains adeptes du quoi qu’il en coûte, sont prêts à faire n’importe quoi pour gagner quelques leads de plus (là, tu imagines le titre d’un western et il ne te reste plus qu’à en choisir les acteurs – fais-moi plaisir ne donne pas le premier rôle à Jonathan Cohen, symbole du marketing de la production cinématographique). Je crois que lorsque le marketing clame sa volonté d’une transition vers le responsable, il est davantage dans la déclaration d’intention que dans la recherche d’un avenir plus beau.
Mais peu importe ! Il suffirait de quelques artistes pour impacter les foules. Enfin, on peut le croire, l’espérer. Où sont-ils ? Et cette question dépasse largement le cadre du marketing. Qui sont les artistes engagés et reconnus dont le but, la mission sacrée serait de nous inspirer à tout changer ? Tu devrais pouvoir en citer quelques uns mais je te soumets à la question de l’impact. Ont-ils un impact ? Lire un philosophe contemporain (tu choisiras le tien : Enthoven, Pépin, Morin, de Funès, et les autres) ne te donne pas la lumière immédiatement, et écouter les rappeurs ou les cinéastes français ne te rapprochera pas instantanément de la plénitude artistique non plus. Le beau est ailleurs. Le beau est chez l’autre.
Pour le découvrir, il te faut voyager hors de toi et te projeter dans l’inutile ou l’invendu. Non pas que l’on ne puisse vendre le fruit d’un artiste, mais parce que ce n’est pas la transaction qui compte ici. Non pas que l’usage du beau soit impossible, mais parce que le plus souvent, la beauté précède l’expérience. Ainsi le chef étoilé compose une assiette qui te donne envie de goûter aux saveurs les plus improbables et te permettent d’apprécier ce que tu n’aurais jamais dégusté sans lui. Tu penses bien qu’en marketing, tendu vers le ROI comme tu es, tu ne te concentres pas sur le beau mais bien sur le résultat. Etre un artiste n’est pas un enjeu. Il s’agit surtout et toujours d’agir avec efficacité.
Voilà sans doute pourquoi les gens ne font pas confiance au marketing pour changer le monde. Ils savent, ils redoutent même, que les techniciens des marques ne soient obnubilés par la maitrise de leurs outils innombrables et par un hypothétique résultat que par la nécessaire évolution de nos comportements et de notre société.
Si les pratiques artistiques ont un impact sur notre monde, sur nos relations sociales et notre environnement, il y a urgence à en informer les gens du marketing (aussi) et les responsables de l’éducation. Créons davantage d’artistes et un peu moins de techniciens !
Merci !
PS : tu peux m’attribuer une note pour cette copie. N’hésites pas à me partager ta réflexion sur le sujet… #oupas