Alain chante avec Vincent. Un moment magique que je ne découvre que maintenant. Un instant de grâce qui renvoie à un texte vieux comme s’il y a 43 ans qu’il a été écrit.
« Caresses photographiées sur ma peau sensible
On peut tout jeter, les instants, les photos, c’est libre
Y a toujours le papier collant transparent
Pour remettre au carré tous ces tourments… »
Et aussitôt je pars en voyage dans mes archives photographiées. Ces instants où nous étions libres ? N’est-ce pas une nostalgie évaporée qui s’exprime dans ces mots pour mieux combler les vides de nos existences actuelles ? De quelles photos te souviens-tu ?
J’aime me souvenir des vieux Polaroïd pris par ma grand-mère près d’un sapin immense décoré pour Noël ou de ceux pris dans l’euphorie d’une première étoile gagné par des joueurs en bleus. Chaque fois des visages qui ont changé depuis mais qui brillent encore de l’aura du temps d’avant. Nous avons jeté tellement de photos. Nous en avons conservé quelques unes. Lesquelles ? Pourquoi celles-là ?
Et puis il y a aussi des photos que nous n’avons pas prises. Des moments que nous aurions du capturer pour les coller sur un bout de papier carré. Ils sont partis eux aussi. Pour autant, nous en avons gardé la trace émotionnelle quelque part là-haut, à l’intérieur. Pourquoi y pensons-nous encore aujourd’hui ? Pourquoi cette mémorisation invisible prend-elle tant de place dans notre soi ?
Alors lorsqu’une marque me propose une expérience, je me demande chaque fois ce que je serai capable de mémoriser. Et peut-être, aimerais-je en collecter un morceau en couleur ou même en noir et blanc qui s’ajouterait à mon album. Tu n’as qu’à le poster sur Instagram. Sans doute. Crois-tu que la sensibilité de ma peau soit compatible avec un algorithme ?
Je voudrais me souvenir aussi des instants heureux dans lesquels mes marques préférées, mes endroits favoris ont joué avec intensité un rôle qui m’a plongé dans un état second. Ce jean délavé que je portais en te rencontrant, ce short de tennis qui me collait à la peau quand je te regardais jouer sur le court d’à côté, ce livre que je n’arrivais pas à lire dans ce métro qui me rapprochait de notre déjeuner interdit, ce porte-crayons qui tomba lorsque nous bousculâmes ton bureau, tous ces magazines qui encombraient notre canapé refuge de nos câlins… Et puis ce cinéma mal aéré, cette salle de concert trop sombre, ce train arrêté sur des voies à peine enneigées, ce balcon sur la mer d’un bleu pale et sage, qui signifient bien quelque chose, si l’image est encore là.
Lorsque les marques voudront bien se concentrer sur les moments que nous vivons avec elles et non plus sur les achats et les points qu’ils génèrent, notre mémoire sera plus belle. Plus colorée aussi.
Oui mais tu sais avec le digital, tout a changé. Ah vraiment ?
Tu sais, j’écoute cette chanson en mode numérique. J’ai dans la mémoire de mon ordi des tas de photos sans intérêt. J’ai certainement de très jolis mots glissés dans un mail de toi ou de nous. Pour autant que ton ticket de caisse soit téléchargeable depuis mon espace client, si jamais je n’ai pas perdu mon mot de passe en sortant mes mains de mes poches, sera-t-il photogénique ? où seras-tu, toi Vanessa qui m’a conseillé, ou toi Virgile qui m’a souri en me voyant jouer avec ce tablier de cuisine marqué d’un rat toqué ? Tu auras disparu. Tu ne seras pas sur la photo. Et pourtant, j’ai encore des frissons qui me parcourent quand j’y pense.
Et puis je prends le train vers la côte. Je monte dans le ferryboat. Assis-toi !
C’est quoi une vie ?
Merci Vincent !
Et maintenant, je te laisse découvrir la belle réponse de Karine :
Comme toi, Patrice, j’ai pris conscience que l’essentiel est à la fois insaisissable et éphémère. J’ai réalisé à quel point ce vieux jeans troué me collait à la peau quand j’étais ado; je me suis souvenue de cette gomme parfumée qui me remplissait de bonheur alors que j’écoutais mon professeur d’histoire, de la peur au ventre devant ma première boîte de Tampax.
J’arrête.
Aujourd’hui, consciente de tout cela, je savoure chaque instant précieux car je sais qu’il ne durera pas et surtout, qu’il ne se produira qu’une seule fois.
Heureusement ? Malheureusement ?
Les moments que nous offrent les marques sont uniques et propres à chacun. Les plus riches d’entre nous sont ceux qui saisissent, à l’instant T, au moment même où la magie se produit, une expérience que l’on sait qu’elle ne se reproduira plus à l’identique. Les bonnets de laine enfoncés sur la tête par nos parents, c’est quand on est petit. La première cigarette à la boum d’un copain, c’est quand on est ado. La première paire de lunettes progressives chez Optic 2000, c’est un peu plus tard (#ouille).
Il y a des expériences qui, avec le temps, deviennent plus douces. C’est à cela aussi que les marques peuvent penser…