Il fait beau à Paris et pourtant c’est l’heure de rentrer. En classe, au boulot, dans des réunions et même des événements avec des vrais gens. Alors vendredi, tu te dis que prendre un bière en terrasse ce sera cool. Vrai !
Et puis dans un quartier vivant où les parisiens alternent entre trottinette et tenues estivales légères et bariolées, tout le monde est en terrasse. La bière c’est sympa, d’autant plus que désormais elle est l’objet de tous les fantasmes des gens qui croient pouvoir envoyer un message aux autres. Si tu bois une blonde légère qui es-tu ? Si tu préfères une bière brassée localement, dans le village d’à côté, c’est parce que tu es un buveur responsable. Est-elle meilleure au Mont Blanc où dans les rues de Cabourg ou d’Anglet ?
Si boire une bière devient autre chose qu’un plaisir simple, c’est parce que nous sommes entrés dans un cycle vertueux (oupas) de la responsabilité de chacune de nos actions, de chacun de nos actes. Alors pourquoi pas de la bière d’importation mais à l’empreinte carbone réduite par le voyage en voilier d’une autre époque. Un coursier à voiles qui brave l’océan et passe par la manche (comme un tour de passe-passe) avant d’arriver jusque dans ma rue.

Un type barbu, genre sorti d’un pub irlandais mal éclairé et fleurant bon le vieux bois moisi, vient de garer ce qu’il nomme un vélo cargo et qui n’est autre que le descendant du triporteur de nos grands-mères (me glisse-t-on malicieusement à l’oreille). Il a installé deux kakémonos sur le trottoir, une petite table de camping sur laquelle il dispose 4 ou 5 bouteilles avec juste en-dessous un petit texte de présentation jeté au stylo feutre (en écrivant ce mot je me demande si seulement ça existe encore ?). Curiosité oblige, je me rends jusqu’à l’intérieur de sa boutique éphémère dans laquelle s’entassent quelques cartons fraichement débarqués du bateau (en photo sur le kakémono).
Comment est-ce possible ? Qui voudrait acheter une bière importée d’Irlande, que personne ne connaît (ici à Paris) et qui est proposée pour un prix plutôt élevé ? En estimant à la grosse louche le nombre de bières à vendre, je me demande ce que peut gagner cet aventurier moderne ?…
Evidemment, la boutique n’a pas tenu la semaine. Elle est partie dans un autre quartier pour évangéliser d’autres curieux crédules. Parce que oui, il y a eu des clients pour cette bière venue en voilier, et livrée en vélo cargo ! Impressionnant travail de storytelling qui fait réfléchir sur la finalité du marketing (pour celles et ceux qui n’ont pas encore lu Marketing ZERO). Pourquoi fabriquer toute cette histoire ? Quelle est la crédibilité de ce vendeur barbu et souriant ? Aucune probablement, mais finalement cela n’a pas d’importance. On adhère à l’histoire et on aura quelque chose à raconter au prochain diner, ou même sur la terrasse de la maison de campagne ou le balcon de l’appartement de Roger. C’est tout !
Nous avons besoin d’histoires. Prendre un bière sans avoir quoi que ce soit à raconter, c’est moche. Alors pourquoi pas s’imaginer dans ce navire ballotté par les vagues, mouillé par les embruns, dont le bois craque lorsqu’il subit les mouvements de la houle et se prendre pour un corsaire breton prêt pour l’aventure ?
Demain si tu commandes une pression au bar, en terrasse, choisis une marque qui te raconte quelque chose. Tu verras c’est plus sympa !
PS : la bière en question dans cet article est trouvable ici : https://www.neolithique2point0.com
PS : ne cherche pas qui est Roger, il ne boit pas de bière.