Je me suis souvenu de cette injonction souvent entendu quand je prétendais avoir une raquette de tennis en main, et sans doute l’influence de l’illustre Philippe y est pour quelque chose. Lui qui prend plus de temps pour conclure que pour introduire le sujet, me glisse d’un revers tout en touché, cette réflexion sur la recherche de sécurité qui accompagne nos prises de parole. Lorsque j’écris ici, c’est toujours en partant d’une idée qui s’agite dans mon cerveau et qui m’intime l’ordre d’être exprimée sans attendre et surtout sans savoir à l’avance où cela nous conduira. Après tout, si tu veux gagner le point, il te suffirait de remettre la balle dans le court une fois de plus que ton adversaire (que je t’invite à transformer en ami, confrère ou invité de la table ronde sans chevalier aucun). Alors, voulons-nous gagner le point et avec quelle patience infinie sommes-nous prêts à renvoyer la balle ?
Lorsque mon entraineur me dictait cette consigne fondatrice du jour de tennis moyen, j’avais l’impression que l’ennui m’engloutirait dans les entrailles d’un gymnase zébré de lignes multicolores. Pourquoi ? Pourquoi devrais-je produire tous les efforts simplement pour renvoyer la balle de l’autre côté du filet, là où précisément un adversaire inspiré par la même logique ferait exactement la même chose encore et encore ? Et pourquoi ne pas envoyer mon coup droit fort et sur la ligne afin justement qu’il soit hors de portée et jamais renvoyé ? Ah tu viens de comprendre qu’à jouer les lignes tu mets plus souvent la balle dehors que dans les limites du court… Oui !

C’est exactement pour cela que tu galères dans l’écriture, mon gars. Oups, pardon, je me suis pris pour mon coach un instant. Excuse-moi ! L’idée est de jouer avec les lignes. D’accepter d’être parfois en dehors du cadre, de faire une bâche. Faute, me crieras-tu, te prenant pour le bien nommé juge de ligne ! Peut-être. Admettons. Mais lorsque la ligne sera blanchie ou qu’elle laissera une marque que tu ne saurais contester, que tu tenteras d’effacer d’un coup de pied rageur sur l’ocre incorruptible, le point sera pour moi et tu n’y pourras rien.
Lorsque j’écris pour d’autres, je mets le plus souvent la balle dans le court. C’est plus simple et cela leur offre l’occasion de me la renvoyer sans trop d’efforts. Mais celui qui a déjà assisté à un échange d’une longueur pénible construit sur cette volonté de ne pas céder à la tentation de gagner, s’est très certainement ennuyé dans les tribunes comme dans la vie.
Si tu dois produire des contenus pour toi, pour ton entreprise, tu as déjà entendu mille fois ce conseil ridicule : choisis bien ta ligne éditoriale et respecte là à chaque instant. Mets la balle dans le court mec !

Ce que je trouve extraordinaire dans cet ordre illégitime, c’est qu’il est paralysant. Evidemment tu n’y parviendras pas. Enfin pas à tous les coups. Dès l’instant où tu acceptes de relever ce défi, tu sais que viendras le moment où tu vas te louper. C’est une certitude absolue. Il ne reste plus qu’à attendre, à faire preuve de patience, pour qu’arrive enfin la délivrance de ce revers boisé qui finit dans le filet. Imagine ma joie ! Te voir souffrir comme un beau diable pendant de longues, très longues secondes pour finalement échouer. Prodigieux.
Et si tu jouais avec les lignes ? Que se passerait-il ? Certes tu perdrais au moins aussi souvent, mais bien plus rapidement. Tu ferais un nombre de fautes énormes, mais aussi des points magnifiques. Il se trouve que l’on se souvient davantage des points magnifiques que des fautes. Notre cerveau n’aime pas l’échec.
Alors quand tu décideras de produire du contenu pour toi ou pour ta marque, pense à ceci : comment pourrais-je jouer avec la ligne, surprendre mon adversaire et marquer les esprits par tant d’audace à cet instant où tout le monde le sent bien, la pression est maximale ?
J’en arrive à la conclusion, un peu de patience.
Souvent nous recevons des conseils, plus ou moins judicieux, des bonnes pratiques qui ont fait leur preuve, venus de gens attentionnés dont le principal objectif est de ne pas être responsable de nos erreurs. Si tu avais suivi mon conseil, blablabla… Plus rares sont celles ou ceux qui vous diront tape le plus fort possible et le plus près possible de la ligne et tu deviendras la.le meilleur. Or dans l’écriture, dans la production de contenus, il n’y pas d’autre chemin vers la gagne. Soit vous osez dire ou écrire ce que les autres n’imaginent pas, soit vous finissez dans le filet avec tous les poissons rouges de l’océan déplastifié. Mon ami Philippe le sait bien. Il ose jouer hors des lignes mais il gagne le point quand même.

Beaucoup pensent qu’il est urgent d’affirmer notre différence, mais combien le font ?
Bon d’accord mais est-ce que cette stratégie est gagnante ? Et là tu vas me demander des comptes, vouloir savoir si c’est possible dans ton entreprise qui est soumise à une très rude concurrence, ou si tu ne risques pas d’être identifié.e comme franc tireur.euse (attends l’écriture incluse c’est cool mais j’ai un doute : franche tireuse ??…). Il se trouve qu’au ce moment de conclure (comme dirait Jean-Claude, non pas le séduisant type avec un D mais bien mon ancien coach aujourd’hui disparu), si tu te poses la question du résultat, tu vas échouer. Exactement comme si arrivé aussi loin dans ce texte dont on en sait quand il se terminera, je m’interrogeais sur l’impact qu’il, aura sur toi, cher.e lectrice.teur. J’en serai pétrifié. Terminé le parcours sans faute de ma plume, des tapotis fébriles sur mon clavier, je me figerai dans l’hésitation, pris par l’angoisse de n’avoir eu aucun succès. Rassure-toi, ça ne m’arrive pas. Je continue de glisser sans crainte de perdre mes appuis, vers une prise de risque supplémentaire afin d’abréger les débats.
Smash ! Bim bam boum ! Merci et à bientôt !
PS : si tu as trouvé ma conclusion un peu longue, tu peux t’en prendre au master connu d’avance et lui faire part de ton indignation ! Merci !
M’étant remis au tennis très récemment, cher Patrice, je n’aurais pourtant jamais imaginé cette analogie avec l’écriture, que je trouve très juste.
En tant que blogueur, je me demande à chaque fois comment je vais jouer : près des lignes ou renvoyer la balle. Et c’est un vrai dilemme !
Tant de fois, j’aimerais lâcher des coups droits puissants dans le coin du terrain adverse… tant de fois, je me suis retenu.
Pour se frustrer ainsi ? La peur de déplaire ? Sans doute. La peur de nuire à ses affaires ? Aussi.
Mais, parfois, embourbé dans les brumes ténébreuses du petit matin, je ne réfléchis pas et je me lâche. Et c’est souvent là que j’ai connu mes plus grands succès de blogueur.
Merci pour ton article.
Merci Olivier pour ton retour sur ce texte. j’espère qu’il contribuera à te libérer encore davantage. Le succès que tu évoques est témoin de la nécessité du lâcher prise en matière d’écriture… La modération de certains de nos propos est parfois une Bonn chose aussi. Tout dépend des valeurs que l’on exprime et de l’intention dirigée vers les autres… #onenparle