« L’espace ancre le temps dans la mémoire. » Page 199 de Que sommes-nous, un essai sur la condition humaine signé par l’immense Siri Hustvedt. Au-delà de la compréhension de ce que l’imaginaire et la mémoire sont différents bien que très étroitement liés, au-delà du fait établi par la science que l’expérience imaginaire demeure une expérience, il y a la temps et l’espace. Or si le temps est une dimension que l’humain a beaucoup de mal à appréhender tant elle est variable, extensible, diluée, déformée, insaisissable, et culturelle, l’espace est sans aucun doute plus concret. Où sommes-nous est une question nettement plus facile que que ferons-nous demain ou même dans 5 minutes.

Les pieds dans la terre, la tête dans les nuages.
Le sol. La gravité. Nous sommes là où trainent nos pieds, où nous ramènent sans cesse nos pas. Quand ? Quand sommes-nous allés dans ce restaurant la dernière fois ? Quand nous sommes-nous rencontrés ? Ces dates, ces repères dans nos calendriers affectifs sont marquées par l’espace, au sens du lieu. Nous nous souvenons parce que nous y étions. Dans l’expérience que nous proposons à nos clients, quelle est l’importance du temps ? Comment pourrions-nous lier cet instant à un lieu, un espace dans lequel nous étions bien ?
J’aimerais pour cette question aux responsables de l’expérience client en magasin ou du e-commerce mais aussi à celles et ceux qui travaillent sur l’UX (du site à l’appli en passant par les métaverses). Alors même que les clients cherchent à gagner du temps, il est essentiel qu’il conserve une trace émotionnelle forte du moment vécu et que ce moment soit rattaché, dans leur mémoire, à une localisation précise. Si je reviens dans cet endroit, c’est certainement que j’y ai passé un agréable moment de ma vie (et tu comprends ici que la longueur de ce moment exprimé en minutes, en heures ou en jours, n’a aucune importance). Or le temps sera dissout dans ma mémoire, sauf à être prodigieusement marqué par l’espace. Si je ne sais plus quel jour exactement, et probablement quelle année précise, je sais en revanche me souvenir du bruit provoqué par la chute d’un morceau de glace se détachant du glacier Perito Moreno tout au Sud de l’Argentine pour tomber dans les eaux bleutées du Lago Argentino. Ce lieu, ce moment sont des souvenirs dans ma mémoire de voyageur. Comme pour toute expérience extraordinaire, l’importance du lieu, du visuel, du ressenti par l’image, est décisive.

Alors tu saisis la double interprétation de ce théorème de l’expérience, transposé à l’univers de la consommation : soit, l’enseigne propose un lieu toujours identique, respectant une géographie, un agencement intérieur, une atmosphère visuelle et sensorielle, et des décors et costumes identifiables pour créer cette illusion que tu es partout dans le même espace; soit, à l’inverse, le magasin travaille sur tous les axes de différenciation possibles pour, au contraire, te donner l’impression de son originalité, de son extraordinaire singularité. Ainsi toutes les FNAC, les Opticiens Krys ou les McDo sont les mêmes et tu peux t’y retrouver comme chez toi. Tandis que le concept store ou la boutique éphémère te séduisent pour ce qu’ils sont uniques et introuvables ailleurs (que dans ta mémoire). Si tu reviens volontiers chez ton boulanger de quartier, soit tu vas fréquemment chez Paul.
Chez qui aurais-tu vécu tes meilleurs moments ? Pourquoi remarques-tu le moindre changement visuel d’un lieu que tu fréquentes souvent ? Penses-tu que le confort d’un espace que tu connais parfaitement, t’incites à y passer plus de temps et à y venir plus souvent ?
Le client sait que son temps est flexible. Ses désirs modifie sa perception temporelle. Le temps passé assis dans un canapé confortable est tellement plus court que celui perdu à la caisse du supermarché… A moins que ce ne soit l’inverse ?

En marketing, on devrait inciter nos prospects, nos clients à prendre leur temps. On devrait surtout leur proposer des espaces plus généreux. Des espaces plus confortables aussi. Le blog, est un exemple de ce rapport au temps et à l’espace que nous recherchons sans même nous en rendre compte. Savoir où sont les contenus que j’apprécie vient avec l’idée de prendre le temps de les lire.
Tu peux te retourner sur ta serviette de bain. L’eau est bonne. Profite et prend du bon temps ! Je ne bouge pas…
Cet article inspirant me fait penser aux douches sonores experimentées dans le Retail.
Marketing sensoriel : quand le son agit sur l’expérience consommateur. Harvard Business Review. https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2019/09/27870-marketing-sensoriel-quand-le-son-agit-sur-lexperience-consommateur/