Le client est exigeant. Il s’attend toujours à un service de qualité supérieur à son historique d’expériences. Chaque fois, il imagine que l’on va le reconnaitre, se souvenir de ses préférences, de ses goûts, de ses manies et que tout cela permettra une fluidité relationnelle appréciable. Alors il s’installe dans le confort et ne tolère que très difficilement que quelque chose, un détail insignifiant vienne perturber son rêve cotonneux. Est-ce bien raisonnable ?
Du côté de celui qui délivre ce service, la pression est énorme. Non seulement le service doit être au top dès la première fois, mais il doit aussi continuer à progresser au fil des prochaines visites, des prochaines interactions avec ce client qui en redemande. Ouf !
Que tu aies du mal à supporter 37 minutes de musique d’attente se comprend facilement. Si tu as craqué avant, tu considèreras que le plateau de la relation client n’est pas performant pour traiter ta demande de modification de ta commande. Si tu as attendu patiemment, tu constateras qu’une solution a finalement été trouvée et qu’elle t’est présentée avec toute la gentillesse attendue. Cette expérience là du service, donne une toute autre impression de confort et de confiance dans le service client, et par conséquent, dans la marque. Comment faire pour obtenir cette patience indispensable à la résolution de la demande ?

Assis à l’une des terrasses parisiennes que je fréquente assidument lorsqu’il fait moins de 35 degrés dans la capitale, j’écoute un patron de brasserie m’expliquer ses difficultés dans la gestion de ses équipes. Le service est-il à la hauteur ? Une question qui le hante davantage que la qualité du burger ou du Pars-Brest que servent ses cuisines. Non qu’il ne se soucie pas de l’attractivité gustative de sa carte, mais bien parce qu’il semble lutter au quotidien pour former des managers et des serveur.euse.s à un service de bon niveau. Rien de nouveau me dirais-tu, la formation, la formation et encore la formation. Certes !
Mais alors pourquoi et comment être à la fois doux et dur avec ses équipes ?
Si un manager laisse un peu trop de liberté à son équipe, il aura bientôt perdu le contrôle, il constatera un relâchement fâcheux. Le service se dégradera. Les clients le remarqueront sans rien en dire. A moins que. Et si la responsabilisation de chacun était possible ? Comment trouver d’autres recettes managériales que la carte et la bâton ? Ce patron de brasserie a mis en place des primes de résultats pour ces managers, et les suit chaque jour dans leur relation aux équipes. Il est toujours là pour les aider, les motiver, les écouter. Pour autant, il prône une fermeté, une rigueur qui, dans la forme, peuvent paraitre excessives. Le coup de gueule n’est jamais bien loin.

Dans une expérience en laboratoire réalisée dans les années 60, on constatait que le sentiment d’attachement était le plus fort pour des individus qui reçoivent alternativement des gratifications et des réprimandes. Sans nécessairement que cela soit prévisible, ni même corrélé à une attitude ou une action précise. Si je ne crois pas applicable à l’humain ce genre de traitement, il me parait révélateur de notre volonté de plaire à l’autre. Ne pas accepter d’être parfois décevant, ne pas s’en excuser, est symbolique d’une démission face à l’attente de l’autre. A l’inverse, récompenser, offrir par surprise, par pure générosité est aussi d’une rare efficacité dans la construction de liens durables. Un management qui sait à la fois soutenir et encourager mais qui ne laisse pas passer l’occasion de manifester son mécontentement doit trouver et équilibre entre douceur et fermeté.
Dans les métiers de la restauration, le travail est difficile. Il est rendu plus pénible encore par l’exigence du client. C’est sans doute ce qui explique que l’on y manque de beaucoup de main d’œuvre. Comme le souligne Thierry, Delphine, ou Laure-Emmanuelle, les discours de valorisation de ces métiers sont trop peu audibles. Si notre pays est devenu un pays de service, si le service à la française doit être reconnu, il faut sans doute valoriser la fermeté et la douceur, à la fois.
Tenir un plateau, courir d’une table à l’autre et sourire aux blagues ridicules des clients, est un challenge de chaque instant. Gérer cela dans la fluidité et la bienveillance pour tous, est une réelle performance, que l’on ne souligne pas assez. Râler est plus accessible. Féliciter est trop rare.
Si nous aimons ces moments de vie au restaurant, en terrasse, si nous souhaitons naturellement être bien servis, à nous d’aimer davantage ceux et celles qui font tous ces efforts pour nous servir.
Merci !