En revenant d’un continent où le sourire est obligatoire, d’un pays culturellement dominé par la salutation accentuée par une posture de respect, les mains jointes et les yeux dans les yeux, je lis l’excellent supplément publié par Le Monde, dénonçant un bonheur mécanique. Lire cette dénonciation des excès d’une communication sur la happycratie que l’on tenterait d’imposer en France, me confirme que je suis bien sur le chemin du retour au pays. Tout ce qui fonctionne, est chez nous, immédiatement suspect, et dans la foulé, devient une manipulation diabolique des tyrans entrepreneurs et autres marchands qui nous exploitent. Incroyable comme notre élite intellectuelle autorisée à prendre une parole médiatique, se permet de cracher dans la soupe ! Pourquoi conclure une tribune au vitriol sur notre recherche du bonheur, y compris au bureau (mais oui c’est possible !) par une déclaration de Serge Gainsbourg datant de 1992 réduisant son impertinence naturelle à son refus de considérer le bonheur ? Est-ce vraiment un propos d’actualité ?
Notre intelligence émotionnelle, mise à toutes les sauces dans cette tribune de Nicolas Santalaria, n’est pas au service de notre égo, ou à tout le moins pas seulement. Et c’est principalement là que se situe l’incompréhension majeure. Le Chief Happiness Officer décrié comme l’était d’ailleurs en son temps le bouffon du roi, n’est pas un organisateur de tournois de babyfoot ou de célébrations des anniversaires des salariés de la boite. Il devrait être un conteur d’histoires et un animateur de communauté (au sens suranné de ce moniteur de colo qui grattait sa guitare le soir, avec approximation mais sincérité). Etre dans le développement personnel, à la recherche de ses émotions positives, est indispensable et la méditation n’est pas un simple gadget. Tous les décideurs de cette planète ont compris qu’il est urgent de se déconnecter, de se poser, de marcher et de réfléchir sans aucune espèce de perturbation extérieure quelques minutes par jour. Le vagabondage de l’esprit ou la pratique du yoga conduisent à affiner la connaissance de notre moi mais aussi à nous ouvrir sur le monde extérieur.
Si je prône un marketing émotionnel, ce n’est pas pour expliquer à toutes les marques qu’il faut créer, encourager, voir promouvoir des émotions positives chez les clients. Nos émotions ne sont pas productibles ni reproductibles, comme on le laisse entendre un peu facilement. Nos émotions sont personnelles, strictement individuelles et très largement imprévisibles. Mon idée n’est pas de donner des recettes pour faire peur ou pour faire rire les clients. Ma vision du marketing est dans la compréhension de l’autre. Mon intelligence émotionnelle, exactement comme la vôtre, n’a d’utilité que dans une meilleure compréhension de l’autre. Il en va de même pour toute intelligence, me semble-t-il, mais c’est un autre débat.
Pour en revenir à Nicolas, lorsqu’il obtient comme réponse que le storytelling est libérateur pour les membres d’une communauté, il devrait comprendre que c’est dans le partage et l’écoute des autres que réside notre bonheur. Etre compris est indispensable à tout être humain ; il suffirait d’observer la souffrance des autistes ou des handicapés pour s’en convaincre. Raconter son histoire, se mettre en scène et percevoir sur les visages qui vous regardent, les signaux émotionnels engendrés par le récit, est un instant de grâce. J’ai en mémoire les séances de travail avec les équipes de Cision France, qui nous ont permis de définir une mission et de raconter des histoires. Ce fut intense et le plaisir était au rendez-vous. Merci encore ! Le bonheur est un indicateur collectif. Il doit permettre de situer l’état d’esprit d’un ensemble de personnes, dans une communauté, dans un groupe d’amis comme dans une société. Personne ne prétend qu’il suffirait de sourire en permanence et de ponctuer tous ses messages par un smiley pour se sentir épanoui et bien dans sa vie. Néanmoins, faire vivre des émotions positives aux autres est une vraie mission sociale, car notre bonheur personnel dépend avant tout de celui de ceux qui nous entourent.
Une marque est un agrégateur d’individus, autrefois appelés consommateurs et rassemblés en cibles ou en marchés potentiels. Sa faculté à créer du bonheur pour ses clients dans des expériences rendues uniques par des efforts immenses de personnalisation, est directement liée à sa performance économique. Si Facebook nous rend demain plus malheureux que nous étions avant qu’il ne nous renvoie nos souvenirs d’il y a un an ou deux, avec cette constance parfois pénible, nous quitterons le réseau sans regret. Si ouvrir une canette de Coca n’est plus associée à un moment de partage agréable, nous boirons autre chose. Tout est dans la perception émotionnelle d’une situation vécue et partagée. Lorsque je raconte ce que je fais avec tel ou tel produit, il m’est impossible de ne pas être dans l’émotion. Les avis sur TripAdvisor, les commentaires sur ce blog, les conversations autour du buffet d’un Afterwork sont émotionnelles (ou deviennent vite sans intérêt).
En revenant d’un pays où le sourire fait du bien, je me demande si Nicolas est resté enfermé dans son cynisme parisien. Au fond sa question doit, comme souvent, être renversée : est-ce que l’on pourrait vendre (ou plus simplement travailler) tout en proposant une expérience créant un sentiment de bonheur ? La corrélation n’est pas une indication de sens. Elle n’explique pas de causalité, et l’esprit négatif en profite pour relier deux variables dans le sens qui lui convient. Mettre en place une ambiance « happy » dans un univers de travail n’est pas une tactique pour augmenter la productivité des salariés. Pas davantage qu’imposer des règles dures et terrifiantes n’aurait donné envie aux gens de travailler dans un goulag !
Une marque qui propose une expérience « happy » à ses clients, vend mieux et plus, parce que les individus qui composent sa clientèle, souhaitent à titre personnel être heureux dans leur vie. A nouveau, c’est une question de choix. Pourquoi devrais-je choisir une marque qui ne me fait pas sourire (qui ne provoque chez moi ni joie ni surprise) ? Pourquoi devrais-je aller travailler avec des gens pénibles et tristes ? Poster des photos de visages déprimés sur mon compte Instagram ne fera de bien à personne.
Mobiliser son intelligence émotionnelle en direction des autres, c’est sans doute contribuer à leur rendre la vie plus agréable, et c’est ce que les humains tentent de réaliser au quotidien. Les marques qui comprennent ces principes là, sont aussi les entreprises où l’on aurait envie de travailler. La MAIF ou Décathlon sont des exemples représentatifs d’un autre modèle de société. J’invite donc les esprits chagrins, ceux qui voient le diable à leur porte, à prendre le temps de sourire. Pour rien. Sans aucun objectif.
Dans cet avion qui me ramène à la maison, je souris en pensant à vous. Et ça me fait du bien.
Photos d’un Apple Store, visuels de Shake Shack et d’une boutique à Hong Kong