Hier c’était la révélation du deuxième baromètre de l’Omniretail présenté à Paris par CA Com, 1er groupe français de communication dédié au retail (commerces et enseignes). Très belle présentation powerpointisée et animée par Rodolphe Bonasse (DG) et Isabelle Gerson (directrice du développement), qui a visiblement intéressé l’auditoire. Beaucoup de chiffres, comme dans tous les baromètres, moins de faits marquants mais des exemples très instructifs sur les best practices venues d’enseignes françaises et surtout étrangères.
On considère aujourd’hui quelques 14 points d’achat différents puisque les moyens utilisés par les consommateurs pour faire leurs courses intègre le web, le mobile (comprenant la tablette en forte progression avec 1,6 millions de tablettes vendues en France en 2012), mais aussi le Drive, véritable phénomène du commerce, et la tv connectée (même si les français ne savent pas encore réellement s’en servir !). Malgré toute cette technologie et de manière tout à fait logique les français continuent de fréquenter en priorité les magasins physiques, si possible leur offrant une proximité synonyme de gain de temps et de praticité quotidienne, mais aussi de relation humaine. De même, nous dit-on, les consommateurs seraient davantage regardant sur les prix au moment d’acheter, et emploieraient les comparateurs disponibles sur internet. Ah bon ?!..
Voir une courte vidéo définissant l’Omniretail ici.
Pourquoi ? Pourquoi suis-je surpris tout à coup par la présentation des données chiffrées qui à force de graphes et de pourcentages, voire de progression d’un an sur l’autre, semble à tout le monde incontestable ? Intuition ? Expérience de ma formation en mathématiques ?… Pourtant les études appuyant cette présentation sont réalisées en collaboration avec Ipsos ou LH2 et ont été publiées par LSA (par exemple). Du sérieux, du solide, repris très certainement par la presse et incorporées dans les recommandations stratégiques des agences… Où est le problème ?
J’en vois deux. Le premier est un classique du genre : on fait dire ce que l’on veut aux chiffres ! Ainsi lorsque CA Com affirme que 42% des personnes interrogées (échantillon représentatif de 1015 individus) utilisent les comparateurs de prix pour l’alimentaire, score qui monte à 80% pour le non alimentaire, de quoi parlons-nous ? En fait, ce sont 7% qui déclarent les utiliser « très souvent » auxquels s’ajoutent 8% qui le feraient « souvent ». 58% répondent « jamais » à cette question et 27% de temps en temps… Je pouvais aussi bien en conclure que 85% des consommateurs n’utilisent pratiquement jamais les comparateurs de prix pour l’alimentaire ! Ce qui renvoie les analystes convaincus de l’importance décisive du positionnement prix à leurs… études !
Deuxième souci majeur qui m’interpelle : les réponses sont sur la base du déclaratif. Ce n’est pas choquant en soi, mais au regard des réponses proposées, on comprend que la « personne interrogée » puisse aisément tout mélanger et se tromper de case en toute bonne foi. Prenons un exemple : Achetez-vous en ligne des produits neufs avec livraison ? 3 réponses possibles et présentées dans le baromètre comme ci-dessous :
Ici on voit que le pourcentage des français e-acheteurs (donc acheteurs on line !) et qui le font pour des produits neufs au moins une fois par mois est de 19% ! Si on prend le total des français on est à la moitié ! Comme pour chacune des réponses… Mais le total des français ne serait-il pas par hasard la somme des e-acheteurs et des non e-acheteurs ?… J’en conclus que nous avons en France environ 50% de la population qui est e-acheteur ! Que ce soit une fois par mois, une fois par semaine ou une fois dans l’année !… Et alors ? N’oublions pas que je suis sur du déclaratif pur. Comment la « personne interrogée » fait-elle pour évaluer qu’elle achète « on-line des produits neufs livrés à domicile » une fois par mois ou une fois par semaine ? Et si elle amalgame la réservation de ses billets de théâtre avec sa livraison de courses Monoprix ou ses achats sur Vente-Privée, que se passe-t-il ? Comment pourrait-elle s’en souvenir correctement ? Que vaut ce déclaratif à l’heure ou si tu n’achètes pas on-line, tu es automatiquement classé ringard ou hors classe d’âge d’étude (borne max : 49 ans !! une bonne moitié de la salle…) ?
Merci de prendre avec une extrême précaution les déclaratifs basés sur la mémoire des personnes interrogées ! Comment pourraient-elles se souvenir de l’origine de leurs achats semaine après semaine, alors même que l’étude constate que les parcours et les points d’achat se multiplient rendant le simple traçage du client très complexe ? Comme l’indiquait fort justement nos présentateurs, à Noël on a constaté que la fréquentation massive des magasins a coïncidé avec une baisse des achats dans ces mêmes magasins : les gens venaient voir les jouets ou les cadeaux, notaient les références et repartaient pour les acheter ailleurs… Problème : nous ne savons pas où ils les ont finalement achetés ?
Et puis il y eu des questions dans la salle à l’issue de cette conférence, parmi lesquelles, une qui a laissé Rodolphe un bref instant dans la béatitude : « vous n’indiquez pas les différences par CSP dans l’étude.. Pourquoi ? » (comme je te comprends Rodolphe !). Simplement parce qu’il n’y a pas de différence ! 98% des français vont dans les magasins physiques (autant dire tous !) de même que 98% des moins de 25 ans se connectent tous les jours à internet ou encore que 42% des français ont désormais un smartphone ! Et ce n’est pas une question de CSP ! Ca ne l’a d’ailleurs jamais été… L’être humain ne se résume pas à sa CSP !
Et puis à la sortie de la salle, j’avais envie de poser une question impertinente (oui ça m’arrive souvent) : pourquoi n’avoir fait aucune différence entre les comportements (les points d’achat fréquentés ou les parcours client) de ceux qui sont encore dans la découverte ou la recherche d’une offre ou d’une marque, et ceux qui sont déjà fidèles ?
Si je suis un client fidèle d’une enseigne ou d’un magasin (et même d’une marque) est-ce que mon parcours d’achat est différent ? Et comment cette différence pourrait-elle modifier la relation client ? Ainsi, quand Wallmart propose à ses clients de livrer leurs voisins, avec une vision à la fois responsable et collaborative de la livraison, ne croyez-vous pas qu’il le fasse en direction de ses clients fidèles et que cela soit d’ailleurs un moyen de les fidéliser davantage en les rendant utiles, en les associant à la mission de l’entreprise d’offrir un meilleur service ?
Il existe d’énormes différences de comportement entre les clients volatiles, les chasseurs de promotion ou de prix, et les clients fidèles. Ces derniers ne sont sans doute que 20% en moyenne dans la fréquentation des points d’achat (et surtout des points de vente) mais, si j’en crois les études, ils font 80% du business et 100% de la rentabilité. La fidélité nous fait voir les choses autrement, influence nos choix, nos décisions, et parfois même sans que l’on s’en rende compte ; elle est, comme l’être humain, intuitive et émotionnelle. Peut-elle faire l’objet d’études quantitatives ?… Un sacré défi pour CA Com !
A quand un baromètre « Omniretail » des clients fidèles (et construit sur de réels parcours clients) ?